Le voyage a été bien plus rude que ce qu’elle avait connu avec la caravane. Ce n’était déjà pas très confortable, mais là… La première partie du voyage s'était relativement bien passé vu la situation : juchée sur le cheval de son nouveau propriétaire, derrière celui-ci. Mais Priya n’était captive que depuis quelques heures qu’elle tentait de s’enfuir au détour de plusieurs arbres massifs et de chemins sinueux. Une belle occasion vu la disposition des lieux. Elle pouvait se faufiler aisément là où les guerriers, bardés de leurs armes ne pouvaient pas – selon elle – la suivre avec aisance. Malheureusement, son plan n'était pas si infaillible que cela puisqu'Isaak n'a pas eu trop de difficulté à la rattraper, n'hésitant pas la pousser un peu, la faisant trébucher et tomber sur le sol assez durement.

Cette tentative ayant à l'évidence agacé Isaak, celui-ci ne lui a pas permis de remonter sur la croupe du cheval. Pire, la jeune femme s'est vue passer une corde autour des poignets pour être ainsi attachée à la selle. La jeune femme a terminé le voyage à pieds. Plusieurs jours de marche, éreintants, seulement troublés par le chien d'Isaak, Kavik, qui venait parfois chercher l'attention de son maître ou qui grognait sur Priya dès que celle-ci cherchait à détacher ses liens. Finalement, le petit groupe est arrivé sur les côtes gelées pour prendre le bateau les amenant sur l'île. Une première pour Priya. Un peu impressionnée et effrayée à l'idée que le bateau ne coule dans des eaux glacées et infestées par des prédateurs probablement des plus dangereux. Un sort surement plus enviable que l'esclavage sur l'île qu'elle a fini par apercevoir, venant grossir de plus en plus. A l'arrivée, une fois débarquée, Isaak l'a entraînée et finalement l'a amenée jusqu'à une jeune femme aux longs cheveux noirs lui adressant un regard lui indiquant qu'elle n'avait pas intérêt à faire quelque chose d'idiot.  Il l’a laissée là, sous la surveillance du chien toujours prêt à grogner sur la nouvelle possession de l’humain. Alors elle a regardé la femme, se demandant ce qu’elle allait lui faire, puis a regardé autour d’elle pour détailler les lieux et les gens : des regards moqueurs, ou curieux, presque prédateurs ou des regards apeurés d’autres esclaves.  

Priya n'a pas tellement le temps d'observer plus la ville. Bien vite, Isaak l'entraîne jusqu'à une autre femme. Sa peau est hâlée et ses longs cheveux noirs sont magnifiques. Isaak lui demande de s'occuper de sa nouvelle esclave. L'askhadie ne réagit pas, elle reste de marbre. Elle essaie de ne pas montrer tout ce qu'elle ressent pour ne pas lui donner ce plaisir. Elle ne lui montrera pas sa colère et sa peur. Parce que partout autour d'elle, elle aperçoit des visages blessés, bleuis de coups. Des esclaves qui avancent vite pour faire leurs tâches, les épaules courbées. La jeune femme sait qu'elle est tombée en enfer. Elle regrette tellement ce choix de quitter sa famille, de quitter son clan de la sorte. Ce voyage a été vraiment riche, mais il n'en valait pas autant de souffrance. Priya le sait, elle le sent tout au fond d'elle : elle ne reverra jamais sa famille. Et cela la tue. Elle le sait, cela va la dévorer jour après jour.

La jeune femme s'approche et Priya a un léger mouvement de recul. Elle ne veut pas qu'on la touche, elle ne veut pas qu'on lui fasse du mal. Mais elle prend la parole pour se présenter et lui dire qu'elle va s'occuper d'elle et de ses blessures. Elle ne veut pas d'aide, elle veut juste mourir. Elle pose ensuite sa sacoche sur la table et tente de la rassurer. Comment peut-elle être aussi calme ? Elle grimace un peu et se contente d'acquiescer en s'avançant. Mourir d'une infection serait idiot et douloureux. Alors autant se laisser soigner. Elle finit par lui dire : « Je m'appelle Priya ». Elle se demande si la femme était déjà guérisseuse avant ou si elle a appris ici. Après tout, peut-être pourrait-elle trouver quelque chose d'utile à faire et à apprendre ici ? Trouver quelque chose qui lui donne une raison de rester en vie. Priya ne sait pas si cela sera possible. Elle demande : « Tu es guérisseuse ? Tu l'étais déjà ? ». Elle regarde les marques sur le cou de Danika. Quelqu'un a probablement dû tenter de l'étrangler ce qui doit être réellement horrible et douloureux. Puis elle demande : « Tu es ici depuis longtemps ? ». Elle n'est pas vraiment sûre de vouloir connaître la réponse.

La jeune femme n'a pas l'air méchante ou dangereuse. Mais d'après certaines personnes, les visages doux et angéliques cachent parfois de terribles noirceurs. Peut-être cette femme est du genre à violenter les autres ? Comment en être sûre ? Priya ne le peut pas. Elle est un peu forcée de lui faire confiance. Elle n'a pas le choix, elle en a conscience. Et une partie d'elle le sait : si elle veut survivre, elle doit se faire des amis, des alliés. Parce que Priya est comme ça, elle a besoin de contact humain, elle a besoin de chaleur. De cette chaleur si douce et si apaisante d'un sourire, d'un contact, d'une discussion... Elle a besoin de dialogue, de réponses à ses questions, d'ouverture d'esprit. Elle a besoin de cela. Et ici, elle se doute que cela risque d'être difficile. Mais il y a d'autres personnes comme elle, d'autres esclaves perdues ici, dont elle pourrait se rapprocher. Tout en veillant à ne pas faire trop confiance. Elle ne l'a jamais vécu, mais la trahison pourrait lui coûter cher. Si elle veut s'enfuir, elle ne doit penser qu'à elle et ne pas tenter d'emmener quelqu'un. Cela pourrait être trop dur et lui coûter la vie. Dans tous les cas, Priya ne doit pas perdre de vue son objectif : la survie. Elle est trop douce pour manipuler les gens, mais elle ne doit pas s'attacher. Finalement Danika lui répond et Priya l'écoute. Elle lui dit qu'elle est ici depuis le début de l'année... Priya reste silencieuse et accueille cette nouvelle avec une certaine horreur. Puis, elle entend qu'elle était shisayo, guérisseuse. C'est une chance pour les esclaves si elle a le droit de les soigner... Priya acquiesce simplement en la regardant sortir un linge propre. Elle lui explique aussi que son métier est ce qui lui a sauvé la vie et qu'elle-même devra trouver une utilité... Priya le sent, elle ne risque pas de survivre longtemps... Quelle utilité pourrait-elle bien avoir ? Elle grimage un peu lorsqu'elle lui demande ce qu'elle faisait dans son clan. Priya inspire pour réprimer la vague de panique qui l'envahit puis dit : « Tatoueuse... Je suis tatoueuse... ». Sa voix s'éteint. Elle n'a aucun talent réel. Elle ne sait pas vraiment cuisiner, ne connaît pas les plantes si ce n'est quelques plantes pouvant apaiser la douleur ou cicatriser les plaies qu'elle réalise pour tatouer... Elle ne sait pas chasser ou combattre. Qu'elle utilité pourrait-elle bien avoir ? Et la haine remonte en elle. Ce chien. Ce monstre. S'il l'avait laissée partir, Priya aurait pu vivre. Mais maintenant qu'elle est là, elle se rend compte qu'elle ne survivra probablement pas. Elle baisse les yeux et essaie de ne pas se laisser sombrer mais c'est difficile.

Trouver une utilité peut-être difficile lorsqu'on ne sait rien faire de ses dix doigts. Et si Priya a un esprit très aiguisé, une curiosité infinie et un regard très ouvert, elle ne peut malheureusement pas s'en servir pour grand-chose ici. Elle n'a rien d’un stratège, de plus, elle ne veut pas faire de mal aux autres alors à quoi pourrait bien lui servir son intelligence ici ? Elle est condamnée à mourir dans d'atroces souffrance c'est certain. Mais la guérisseuse reprend la parole pour lui dire que comme partout ailleurs, les kelowniens fêtent leurs victoires par des tatouages. Cela la consterne autant que cela la soulage. Cela semble vouloir dire qu'elle pourra faire quelque chose ici. Mais cela voudra aussi dire qu'elle comptera le nombre de victimes innocentes que ces monstres auront semées derrière eux. Elle sourit un peu. Au moins, cela la rassure quant à son sort. Elle devrait pouvoir s’en sortir ici, surement. En tout cas, elle devrait pouvoir réussir à se rendre utile, d’autant plus qu’elle a son matériel avec elle. L’un de ses premiers réflexes, même si cela ne lui aura pas servi à grand-chose : après tout, elle ne peut pas se battre avec ou s’en servir comme d’une arme. Au moins, elle pourra s’en servir ici.

La jeune femme qui a la peau pâle et les cheveux noirs trempe un tissu dans une petite bassine et s'approche d'elle en reprenant la parole. Elle n'a que quelques égratignures en effet. Elle s'en est mieux sortie que la plupart de ses amis. Enfin non... que tous ses amis. Sa caravane ayant été décimée à l'exception d'une ou deux femmes. Elle grimace un peu. Elle n'a pas l'impression d'être vraiment chanceuse. Confrontée pour la première fois à la violence, à la cruauté, à la mort, elle comprend mieux maintenant ce qu'Elyris peut ressentir à l'idée d'affronter l'inconnu. Parce que c'est à son tour à présent d'en avoir peur. Peur de tout ce qui se trouve ici. Elle s'entend dire qu'à présent, elle devra être docile et obéir aux ordres. Elle n'a plus de liberté. Plus de libre arbitre. Plus aucune existence propre. Elle n'est plus qu'une chose. Cette fille a l'air de s'y être faite, d'accepter cela. Jamais elle ne pourra le faire elle. Elle ne baissera jamais les bras. Mais comme elle n'a pas confiance, elle se contente de baisser les yeux en disant : « D'accord ». Elle relève les yeux et lui dit : « Merci pour tes conseils » en lui adressant un petit sourire. Danika a l'air de connaître Isaak et même de l'apprécier, d'une certaine façon, enfin c'est ce que Danika comprend de ce qu'elle vient de dire. Alors, elle ne lui parle pas de s'enfuir, elle ne veut pas que l'autre esclave aille parler à l'homme qui l'a arrachée aux siens. Elle ne sait pas trop quoi dire d’autre… Elle regarde autour d’elle pendant que Danika continue à s’occuper de ses blessures légères. Ils ont tous l’air si monstrueux, avec leurs armes, leurs cicatrices, leurs regards méchants. Et les esclaves ont l’air si frêle, la plupart d’entre elles ont des marques bleues et des cicatrices. Priya pâlit encore et sa gorge se serre. Elle regrette d’avoir quitté son clan à présent et la sécurité des plaines.