Artemis essayait d’apprendre à lire, assise dehors, bien emmitouflée et éloignée du tumulte des autres citoyens de Moroni. Ce n’était pas une mince affaire que de déchiffrer des mots passé vingt ans d’an-alphabétisation due à son ex-statut d’esclave. Toutes ces lettres lui donnaient le tournis et elle était devant son abécédaire plus perdue que si elle s’était retrouvée dans un labyrinthe particulièrement tordu. La rouquine essayait de retenir les formes et des allier entre elles pour qu’elles forment des syllabes mais l’exercice n’était pas simple : son cerveau était là face à une gymnastique nouvelle. Elle passait les mains sur les courtes phrases qu’elle devait utiliser pour s’entraîner. « S et A se lit… sa. » Jusque là… ça allait encore, ça se compliquait ensuite parce que deviner en étant novice que « ain » se disait « in » coulait nettement moins de source pour la jeune femme.

Elle aurait bien demandé de l’aide à quelqu’un, mais elle avait peur de déranger. Elle ne voulait pas empêcher les autres membres du clan de travailler juste parce qu’elle était dans une grande période d’amélioration de ses compétences pour ensuite être une servante utile à Skylar. Cette dernière n’appréciant d’ailleurs pas cette façon de présenter leur relation, donc elle n’avait pas non plus été demander l’aide de la chef de clan. Quant à assister aux cours des enfants, elle l’avait fait au début, mais c’était vraiment trop humiliant. Elle était peut-être une ancienne esclave totalement ignare et sans culture, ce n’était pas une raison pour que tous ceux de Sengoli le sachent ! Se prenant la tête dans les mains, elle essaya tout justement de déchiffrer le second mot qui se trouvait être « main ». «  Sa m… Ma ? Rah mais c’est quoi ce son ! » Râla-t-elle tout haut, la tête toujours penché sur la phrase écrite en gros et en capitale.

Artémis sursauta en entendant Skylar s’installer à côté d’elle et lui parler. Elle était si concentrée sur sa tâche qu’elle ne l’avait pas vue arriver ! Elle lui adressa un sourire timide : elle ne pouvait qu’approuver ses paroles, cela ne rendait pas cet apprentissage moins frustrant. Certains enfants du clan savaient parfaitement tandis qu’elle, elle avait juste l’air parfaitement idiote en comparaison ! Elle comprenait que son ancienne vie d’esclave n’avait pas nécessité de sa part un enrichissement culturel. Il y en avait bien qui occupaient des fonctions plus intellectuelles, des sortes de comptables pour les grandes maisonnées, elle avait vu ça pendant ses voyages… mais dans son village, il n’en allait pas ainsi et elle était dévolue à faire à manger, tenir la maison et plus tard, s’ils n’avaient pas été obligée de fuir, sûrement qu’elle aurait donné à son maître quelques bâtards que la vraie maîtresse de maison aurait eu envie d’étouffer. C’était comme ça que ça se passait dans les autres maisons. C’est ce qui était normal dans la vie d’Artémis jusqu’à encore récemment car ses années de fuite – solitaires ou non – n’avaient rien de naturel à ses yeux.

« Ou… Oui. Je persévère. Mais je bloque parfois sur des choses tellement simples... » Elle soupira. Elle n’avait pas envie de donner l’impression qu’elle n’était pas heureuse mais elle se sentait plus fière d’elle quand elle cousait des vêtements ou aidait la maisonnée de Skylar que quand elle déchiffrait péniblement des mots d’une syllabe ou deux. « Tu veux bien me dire comment on lit ce son ? » Demanda-t-elle finalement en mon montrant le mot qui lui posait problème. Soudain, il lui passa par l’esprit que Skylar devait avoir mieux à faire et une bouffée de rougeur lui monta au joues. Elle avait honte de grappiller du temps de sa maîtresse pour combler son ignorance. Mais trop tard, elle avait demandé, elle n’allait pas se défiler maintenant !

Artemis écouta presque religieusement les explications de Skylar. Elle comprit aussitôt ce qui avait cloché car elle n’avait, jusqu’ici, appris que des sons de deux lettres au plus. Elle parvenait à les combiner mais cela restait fragile, alors un graphème de trois lettres dépassait largement ses compétences actuelles on lui mettrait une gommette jaune, en cours d’acquisition, de nos jours. Elle essaya de se souvenir de ce que lui disait sa cheffe mais elle savait qu’il y aurait de la perte : bien que possédant une mémoire honorable, elle apprenait trop de choses nouvelles ces derniers mois pour pouvoir tout retenir parfaitement.

Elle était aussi très solitaire, ce qui ne l’incitait pas à demander de l’aide. Elle ne faisait véritablement confiance qu’à Skylar, même dans son clan. Avec les autres, elle s’en tenait à une politesse de rigueur et quelques conversations basiques autour d’un verre. Pendant sa longue période d’esclavage, elle avait perdu un à un ceux qu’elle avait considéré comme des amis, une part inconsciente d’elle-même cherchait à se protéger du chagrin qu’elle avait alors éprouvait, de la même façon, elle cherchait encore en Skylar un nouveau maître malgré les réticences de sa cheffe. Artemis ne le disait jamais en ces termes car l’esclavage n’existait pas (ou plus) dans l’entourage de Skylar, mais en lui jurant fidélité, elle avait engagé sa foi : ce n’était pas tellement différent de quand elle était une enfant esclave. C’était même pour cela que la trahison avait été aussi cuisante. Artemis ne se donnait jamais un peu : tout ou rien, voilà sa devise.

Il en allait ainsi aussi des apprentissages, elle voulait tout connaître, être au même niveau que les autres malgré son retard. C’est pourquoi, malgré sa fierté, elle soupesait sérieusement la proposition de Skylar de lui fournir un enseignement adéquat. Bien sûr, cela augmenterait sa dette envers sa cheffe, mais elle lui serait aussi plus utile quand elle serait plus lettrée… alors l’un dans l’autre… « Tu… tu es sûre qu’il y aurait quelqu’un qui serait d’accord pour m’apprendre ? » Elle s’humecta les lèvres, nerveuse : « J’ai trop honte de mon ignorance pour suivre les cours des enfants… mais je ne veux pas déranger un professeur qui serait plus utile ailleurs. Je n’ai pas vraiment besoin de savoir lire pour coudre… néanmoins, j’aimerais t’être utile à autre chose dans l’avenir. Je suis certaine que je pourrai y arriver si j’avais été mieux éduquée ! » Il y avait des esclaves qui savaient lire, c’était un autre genre qu’elle. Mais être la reine des tâches ménagères n’aidait pas vraiment Skylar dans son travail, or Artemis brûlait de lui être utile. Cela importait plus que tout pour elle, plus encore que son orgueil.