Deux semaines qu’elle a rencontré Akeela. Deux semaines qu’elle continue à faire le tour du clan pour asseoir son autorité. Et malheureusement, il y a toujours des gens qui cherchent à la déstabiliser à la tester. Elle a du lever l’épée un peu trop souvent. Elle aurait voulu éviter d’avoir à le faire. Une chance pour elle, le simple fait de la voir oser tenir tête et ne pas hésiter à empoigner une arme pour faire taire les plus audacieux. Comme une kelownienne. Il ne faut pas la croire douce. Même si elle n’a jamais été friande de donner la mort et de voir ces guerriers revenir avec des prises de guerres, elle n’a pas été baignée dans l’amour. Elle a pris des coups, elle a piégé ses frères plus qu’à son tour aussi. Et aujourd’hui, on l’entraîne à se battre, à devenir la chef qu’elle va devoir être à présent. Alors non, elle n’a rien de doux. Mais il y a quand même encore des réticences. Beaucoup de réticences. Et il y a la dissidence. La simple présence de ce groupe de rebelle entretient les doutes qui planent parmi les habitants de Kelowna. Oh bien sûr, Karrah sait que de nombreux habitants sont acquis à sa cause. Ils en ont marre de retrouver des morts. Des fils, des frères, des maris morts. Beaucoup trop de morts.
Le chemin sera encore long, mais elle y croit. Alors quand elle pousse la porte de la taverne pour essayer de trouver Losran, elle a quand même un léger sourire. Bien sûr, elle n’est pas seule. Malik est avec elle. Il est toujours avec elle. Juste au cas où. D’un côté, perdre sa liberté l’agace. D’un autre, elle comprend et est reconnaissante. Etre seule ne lui apporte plus autant de sérénité qu’avant. Elle craint toujours d’être suivie, de devenir la cible d’un guerrier dissident. Il lui faudra sans doute encore quelques mois d’entraînement avant de ne plus avoir peur. Et peut-être quelques victoires au sein de son clan. Elle ne se sentira probablement jamais en sécurité, mais elle ne se sentira plus aussi fragile. Mais Losran n’est pas là. C’est un autre guerrier qui attire son attention. Fafner. Un excellent guerrier. Et d’après les rumeurs, un ami du père d’Ymir. Alors oui, Karrah est surprise de le voir toujours ici. Elle ne peut s’empêcher d’être méfiante, de toute façon, elle est méfiante avec tout le monde, pas vrai ? Elle fait signe à Malik de rester un peu en retrait puis elle s’approche du comptoir contre lequel il est appuyé et demande à l’homme derrière s’il a vu Losran. Celui-ci répond par la négative et elle se contente de le remercier d’un signe de tête. Sans sourire. On ne sourit pas en Kelowna, le sourire c’est pour les faibles, non ? En se tournant elle pose son regard sur Fafner puis ajoute un : « Fafner » sec, sans laisser sa voix traîner appuyé d’un signe de tête. Un salut comme un autre. De toute façon, Karrah n’a jamais été très douée avec les autres. Puis elle demande : « Comment vas-tu ? ». Curiosité raisonnable. Elle demande au guerrier comment il va c’est une façon de se renseigner sur son état de frustration. Mais elle ne doute pas qu’il mentira et probablement avec beaucoup d’aplomb.
Dissident. C'est le mot que l'on peut lui attribuer aujourd'hui. Enfin, si quelqu'un devait le savoir. Le fait est que personne ne sait, personne n'est censé le savoir et c'est peut-être mieux de cette façon. Namaah, Ymir, ce sont les seules personnes qui savent. Ne serais-ce que par obligation... C'est d'ailleurs amusant comme idée. D'être concédé comme dissident lorsqu'il est juste question de faire ce qui est bien pour le clan. Mais apparemment les gens de Kelowna ne se bougent pas. Oh ne pensent pas. Quelle idée. Bien sûr. De penser que Karrah serait un mauvais chef. Karrah sera un mauvais chef. La question ne se pose même pas. L'idée de faire alliance, de rejoindre cette Alliance qu'il n'était même pas dans l'idée de rejoindre avant... Où simplement pier les autres clans était le mode de vie basique. Les choses fonctionnaient bien de cette façon. Et aujourd'hui elle arrivait comme une fleur du désert dans l'idée de changer ça. Mais non. Les choses n'étaient pas si simples. Elles ne l'avaient jamais été. Nilflheim et Ymir n'avaient jamais été pour la paix, lui non plus. Fafner était un guerrier. Et que devient un guerrier pendant la paix? La réponse semble évidente. Inutile de formuler l'idée à voix haute. Karrah était mauvaise pour ce clan. Et le goût amer de sa victoire ne partira pas de sitôt.
Les yeux perdus dans sa pinte c'est certainement l'endroit le plus intéressant où se trouver actuellement. Les pensées défilent, aussi nombreuses que cohérentes, coïncident avec celles d'avant. Au moins les plans se forment, détruisent les rêves d'un Kelowna en paix. Et devant sa pinte c'est l'endroit le plus adéquat pour le faire. L'alcool et l'homme refont le monde, l'idée est bien connue. Malheureusement elle n'est pas toujours signe de logique. Et ses pensées qui s'entassent dans un coin le laisse rêveur, dans l'idée qu'il soit celui qui détrônera la reine. La reine est morte. Longue vie. à la reine. La reine rousse, celle qui apportera la fin du Clan comme lui l'aimait, comme l'ancien chef l'aimait, comme son frère l'aimait, comme Ymir l'aimait. Et comme tous ceux de l'ombre qui sont soit trop peureux soit trop peu nombreux pour parler l'aimaient. Ce n'est pas que ça lui manque. C'est juste que le nouveau clan, la nouvelle version, la nouvelle chef, tout ça sonne comme quelque chose de faux à ses oreilles, et toute cette désharmonie tonale, Fafner ne serait pas contre la réduire à un rien. Et apparemment l'idée d'être seul, de repenser, de se faire des fantasmes et d'en être le grand gagnant, ce genre de choses ne peut pas être faite ici. Parce que quelques moments plus tard l'objet de désillusion fait son entrée à ses côtés. Le soldat se dit que certainement elle ne fait que passer, ne relève pas les yeux, tourne simplement la tête pour voir le chien de garde. Bien évidemment. « Karrah. » Là commence le vrai travail de l'homme. Où il ne peut laisser passer l'amertume qu'il ressent pour elle parce qu'il ne désire pas réveiller des soupçons qui sont possiblement peu enterrés. « Bien. Merci. Toi? » Bien Il y a beaucoup de choses qu'il aurait pu dire à la place de bien. Parce que de toute les choses c'est certainement de celle-ci qu'il est le moins proche. Parce que tout tombe autour de lui. L'homme soupire. Ce qui certainement sera remarqué.
La rouquine était venue chercher son cousin, mais elle ne l’a pas trouvé. C’est un autre guerrier qu’elle a trouvé et pas des moindre. Elle regarde l’homme qui fait face à une pinte. Elle le détaille pour chercher des signes de colère, d’agacement. Mais elle ne perçoit rien. Rien de plus que le marbre dont il s’est recouvert. C’est un guerrier, forgé dans le sang et les larmes de ses ennemis. Probablement l’un des meilleurs du clan. Fafner est redoutable. Et Karrah aimerait être sure de pouvoir le compter parmi ses alliés, mais elle a des doutes. C’est étrange, mais c’est normal. Elle doit douter de tout et de tout le monde. Elle n’a pas le droit à l’erreur si elle veut garder sa tête sur son corps. Elle ne peut pas se permettre d’être naïve même si tout le monde semble penser qu’elle l’est. Elle s’endurcit. Avec les jours qui passent, elle devient plus forte. Il la salue à son tour. Puis répond à sa question. Il va bien. Vraiment ? Il n’a pas l’air, là, assis tout seul, devant sa pinte. Tout a changé depuis qu’elle a enfoncé la lame de sa hachette dans la gorge de sa chef de clan. Elle a changé. Bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé. C’est étrange de se rendre compte de tout le chemin qu’elle a parcouru en six mois.
Il lui retourne la question, en un mot. Elle retient son sourire amusé. Il n’est pas loquace, mais cela ne la dérange pas, au contraire. Elle jette un œil à la salle, aux gens qui sont attablés. Des hommes. Elle voit des guerriers, elle voit des formateurs. Un forgeron. Elle voit différents corps de métiers réunis. Et des femmes qui vont et viennent, les servent, se font humilier plus qu’à leur tour. Karrah se demande comment elle a pu vivre au sein de ce clan aussi longtemps. Mais elle ne montre rien, elle reste là, à les regarder. Elle se tourne finalement vers Fafner et lui dit : « Quel dommage que tu n’aies pas pu nous accompagner à la Citadelle. C’est vraiment incroyable de découvrir autant de richesses et de cultures différentes… ». Bien sûr, elle a l’impression que l’homme s’en fichera, mais elle ne peut pas en être sure. Elle doit donc elle aussi assurer les apparences. Elle demande ensuite : « As-tu des nouvelles d’Ymir ? Des bruits de tavernes ou des éléments plus concrets ? ». Elle aimerait qu’il dise oui, qu’il lui donne de réelles informations. Mais encore une fois, elle a un doute. Parce que le guerrier dissident est suffisamment intelligent pour couvrir ses traces. Ymir ne se laissera pas attraper comme ça.
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