Voilà plusieurs heures qu’ils sont à la Citadelle. Et après sa rencontre avec l’Ipa et le temps qu’elle a passé avec elle, Karrah est allée se promener dans les rues de la ville. Avant de rencontrer les conseillers, elle a eu besoin d’air, besoin de faire le point et surtout envie de voir la ville. Elle s’est arrangée pour fausser compagnie à Malik et à Losran, les laissant s’occuper à leur guise et veiller sur les conseillers de leur peuple afin de profiter de quelques instants de liberté. C’est un peu comme un rêve pour elle. Elle a abandonné son manteau de fourrures et ses grosses bottes en fourrure. Elle a échangé quelques objets contre une paire de chaussures en daim et une veste en cuir plus légères, plus habituelle de la Citadelle. Débarrassée de ses fourrures, la jeune femme ressemble à toutes les autres femmes de la Citadelle. Sous sa veste une tunique au col pourvu d’un lacet de cuir noir, qui tombe par-dessus un pantalon en tissu. Elle se fond au décor, et cela lui plaît bien. Par sécurité elle a passé son arc sur son dos et sa hachette à sa hanche. Mais elle est surtout là pour visiter, pour s’imprégner de l’ambiance des rues, pour parler aux gens, commercer, échanger des morceaux de fourrures, des plantes et des remèdes contre d’autres choses. Et finalement, cela lui plaît. Elle adore ça, elle adore vraiment ça. Elle passe plusieurs heures dans les rues, à visiter et à découvrir cet endroit dont elle a si souvent rêvé et c’est à la hauteur de ses espérances. Peut-être même encore mieux.

Mais assez vite, il a fallu rentrer. Alors, elle a regagné le palais de l’Ipa en entrant discrètement, pour gagner les chambres qu’on leur a attribué, elle a rangé ses récentes acquisitions et ses armes avant de se rendre jusqu’à l’un des terrains d’entraînement. Elle y a trouvé Malik et Losran en train de discuter, passablement énervés. Elle ne doute pas qu’ils vont lui passer un savon, mais ils ne le feront pas devant les autres pour la simple et bonne raison qu’elle vient de leur enjoindre de se taire d’un regard agacé et d’un pincement de lèvres. Elle s’avance d’un pas souple et une fois devant eux, elle se contente d’un : « Je frappe le premier de vous deux qui gâche ma bonne humeur ». Très vite, son regard agacé disparaît pour laisser place à un regard plus doux, vraiment joyeux, enthousiaste et encore rempli de tout ce qu’elle  Elle les regarde simplement puis finalement, Losran s’éloigne, ayant probablement trouvé mieux à faire. Karrah se tourne vers Malik et dit : « La Citadelle est incroyable. La prochaine fois que nous viendrons, un autre garde nous accompagnera, tu auras ainsi plus de temps pour aller la visiter… ». Elle le regarde simplement, puis esquisse un léger sourire puis regarde autour d’elle. Elle ne veut pas se battre ici, il y a bien trop de monde qui regarde, cela serait observer les failles de l’ennemi. Mais assez vite, les gens présents s’éloignent et les laissent seuls, comme s’ils ne voulaient pas rester. Elle ne comprend pas très bien, mais se tourne avec lui et propose : « Faisons quelques passes, quelque chose de simple, juste au cas où d’autres viendraient… ». Elle va chercher une épée et lui en lance une, avant de venir se mettre en garde. Elle a encore beaucoup à apprendre, c’est certain.

Karrah est plutôt fière de voir que son premier regard et sa réplique ont réussi à faire taire les deux hommes. Même si elle lit la désapprobation dans leurs regards. Elle sait bien qu’elle a pris des risques mais quoi ? Ne peut-elle désormais plus vivre sans avoir quelqu’un avec elle pour la surveiller comme une enfant ? Elle a dépassé ce stade. La rouquine a survécu des semaines durant sur les terres glacées avec pour seules armes un arc et une hachette. Bon, évidemment, les hommes qui s’opposent désormais à elle sont redoutables. Bien plus que des ours. Mais bon, elle n’a pas envie d’être étouffée comme ça. L’aire d’entraînement se vide et assez vite, Malik se permet une remarque. Bien sûr, c’est plutôt logique. Ils ont presque le même âge, elle n’est chef de clan que depuis quelques mois. Avant, elle n’était pas de lignée royale, loin de là. Elle pince un peu les lèvres avant de rire un peu et de dire : « Mon pauvre petit lapin… J’en suis navrée si je t’ai vexé. ». Oui, elle se moque ouvertement de lui, mais en même temps, il l’a bien cherché. Il pensait peut-être l’agacer ou la vexer. Ou simplement lui montrer son mécontentement. Elle n’en sait rien et en fait elle s’en moque un peu.

Elle lui lance ensuite une épée et il a l’air plutôt content de l’attraper. Il lui répond d’ailleurs qu’il vaut mieux leur montrer de quoi elle est capable. La jeune femme tique un peu. Elle a des capacités certaines en combat mais encore de nombreux progrès à faire. Elle pense que leur montrer serait plutôt un témoignage de sa faiblesse. Mais soit. Lorsqu’il se jette sur elle – par surprise – elle a toutes les peines du monde à l’éviter. Elle roule sur le côté, lourdement et se redresse en levant son épée pour parer le coup. Puis, elle tente une attaque comme lui a appris Losran en gardant toujours à l’œil les bras de Malik mais elle a encore du mal à pouvoir anticiper ses mouvements dans sa globalité. Le combat – probablement poussé par la frustration du guerrier – devient très vite éprouvant pour elle, malgré toute sa volonté et toute l’énergie qu’elle déploie à essayer d’éviter de mourir et de placer des attaques de temps en temps. Lorsqu’elle la lame de Malik finit par lui mordre la cuisse droite – volontairement ou non – laissant une longue estafilade ensanglanté sur son pantalon, elle recule de quelques pas, boitillant et hoquetant de douleur : « Aïe… ». Elle grimace un peu en lui jetant un regard mauvais et demande : « Tu es content de toi hein… ». Même si la blessure n’était pas volontaire, elle se doute qu’il doit être plutôt content de lui faire payer sa fuite quelques heures plus tôt.

Elle est habituée à être blessée. Elle ne compte plus le nombre de griffures et de morsures qu’elle a gagné en chassant. Malgré tout la nouvelle coupure qu’elle vient de gagner lui fait mal. Elle la lance. Et comme elle est sur sa cuisse d’appui principale, elle va continuer à lui faire mal. Et ça l’agace. La rouquine serre les dents en écoutant la réponse à sa question qui n’en était pas vraiment une. Et il a beau dire que non, elle sait très bien que ça lui fait très plaisir de se venger de la sorte. Elle se raidit un peu plus en l’entendant dire que leur entraînement de paie pas ses fruits. Elle lui en foutrait des fruits et autant qu’il en veut d’ailleurs : des baies, des pommes, des noix de coco ; il en a en plein au marché de la citadelle. Elle fait des efforts la chef de clan, elle se plie à leurs règles, à leurs gardes, à leurs conseils et à leurs entraînements, mais là franchement c’est un peu trop. Elle n’a rien d’une guerrière, elle n’a jamais rien eu d’une guerrière et il faut croire qu’elle n’en aura jamais rien. Non. Mais elle aimerait bien le voir survivre sur les terres glacées avec un arc, ça la ferait sans doute autant rire que lui se moque d’elle à ce moment. Elle l’assassine encore une fois du regard, agacée par son commentaire. Elle sait bien que les kelowniens n’ont jamais rien eu de tendre et d’ailleurs ni ses frères ni Losran n’ont jamais vraiment eu de mots tendres à son égard. Mais des encouragements seraient les bienvenus de temps en temps. Et pourquoi pas même parfois des félicitations. Tu as survécu à l’attaque d’Ymir ? Ouah, bravo ! Eh bien non. Non, elle n’est qu’une grosse mollassonne incapable de se servir d’une arme à les écouter. Tssk.

Quand il lui demande si elle est prête, la provoquant de la même façon qu’elle vient de le faire, elle le regarde. Elle ne tourne pas en même temps que lui. Elle commence par porter un peu son poids sur sa jambe évaluant la douleur et la nouvelle donnée à prendre en compte dans son combat. Elle ne relève pas le petit nom, ne s’en offusque pas. Pour tout dire, elle est déjà hors d’elle. Elle en a marre qu’ils continuent à la voir comme une gamine ou une faible femme. Elle n’a rien demandé de tout cela. Elle aurait peut-être du simplement mourir de ses blessures, cela aurait été beaucoup mieux. Elle a encore mal, parfois, une douleur résiduelle qui va de pair avec la culpabilité. Karrah ne veut plus avoir à donner la mort. La plupart des siens voient ça comme une faiblesse. Mais elle entend encore le râle rauque de Laëth et ça lui donne des sueurs froides. Elle finit par se jeter sur lui, feintant une attaque vers elle haut pour se déporter un peu et frapper vers le bas. L’entraînement reprend ainsi. Karrah est plus énervée, plus agacée et elle fait des erreurs qui l’énervent encore plus. Elle continue à parer le plus d’attaques possibles, portant des coups de plus en plus hargneux tâchant d’y mettre toutes les techniques qu’ils ont pu lui apprendre, dents serrées, un peu raide de colère et d’agacement. A un moment, elle arrive à passer derrière lui et tente de lui donner un coup de pied à l’intérieur du genou – aussi sournoise que totalement kelownienne – pour le déstabiliser.

C’est avec une grande satisfaction qu’elle voit Malik être déstabilisé au point de poser un genou à terre. Elle est fière d’elle. Et un peu moins en colère aussi. En même temps, elle n’est jamais en colère très longtemps. Elle n’est pas poussée par la haine au contraire, plutôt par une espèce de bienveillance étrange. Plus envers la nature qu’envers les hommes. Elle ne tue pas plus que de raison, respecte les cycles des animaux pour s’assurer qu’elle aura toujours de quoi manger. Elle est plutôt solitaire mais protège les siens, c’est une évidence. Elle n’est pas consumée par une envie de sang, de pouvoir ou de combat, elle aspire à une vie bien plus tranquille que cela. Peut-être aurait-elle dû quitter le clan il y a dix ans et demander asile à la citadelle. Elle ne sait pas très bien. Sur ses gardes, elle le voit attraper la poignée de sable et se protège ainsi les yeux, ce qui lui permet d’éviter de tomber quand il la pousse. Elle tousse cependant, le nez et la bouche irrités par le sable et se redresse levant son épée pour se défendre. Elle l’écoute à nouveau et répond : « Eh bien, contre toute attente il semble que j’en sois une en effet, même si naître sur les terres du clan ne suffit pas à tout le monde pour le croire... ». Elle pince les lèvres. Bien sûr qu’elle est kelownienne. Elle n’a jamais été la dernière pour retourner les farces de ses frères contre eux et si elle s’est fait punir un nombre de fois incalculable pour leurs bêtises, elle a aussi leur faire avoir de sacrés revers de fortunes. C’était et c’est encore aujourd’hui quelqu’un qui sait être sournois au besoin, même si elle n’apprécie pas tellement ça.

Malheureusement, c’est là que réside tout son problème : elle n’aime pas réellement tuer. Et même si elle peut s’énerver, elle n’aura jamais rien d’une guerrière. Elle se redresse un peu et porte de nouveaux coups, parant au mieux les attaques et contre-attaques de Malik. C’est un peu professeur et un bon guerrier, elle n’en doute pas et elle a toute confiance en lui pour la protéger. Parce qu’elle ne veut pas à avoir le faire elle-même. Elle ne veut pas donner la mort à nouveau. C’est surement à cause de ce blocage qu’elle n’avance pas comme il le voudrait. Parce que déjà la colère l’abandonne. Elle continue à se battre cependant, à attaquer et à se défendre, tentant à nouveau plusieurs attaques à la suite de leurre. Mais sa respiration se fait plus rauque et elle en plein milieu d’une attaque, elle est prise d’une quinte de toux qui manque de la faire s’empaler sur l’épée de Malik. Ses propres réflexes et ceux du guerrier la sauve et elle recule de quelques pas. Le sable qu’elle a respiré n’aide pas à calmer l’essoufflement qu’elle avait déjà avant. Elle se redresse cependant et recommence à attaquer, malgré la douleur dans sa jambe et sa respiration plus que difficile, elle ne lui donnera pas la satisfaction d’abandonner de la sorte. Elle n’est pas faible contrairement à ce qu’ils semblent tous penser.

Elle réussit à éviter de mourir embrocher sur l’épée de Malik dans un mouvement malheureuse. Merci à ses réflexes. Elle est soulagée, mais retient son soupir, se remettant en garde. Mais le coup que Malik donne dans son épée lui vibre dans les doigts et l’arme lui échappe. Elle prend sa main dans son autre main en la massant un peu tout en grimaçant et écoute son garde du corps prendre la parole. Elle le regarde simplement puis dit : « Quelque chose me dit que les maîtres d’armes qui forment les apprentis guerriers kelowniens ne sont pas aussi compatissants… ». Elle sourit un peu moqueuse puis hausse les épaules le remerciant du regard. Elle n’est pas mécontente de s’arrêter. C’était un entraînement, juste un petit entraînement pour lui faire plaisir et l’aider à évacuer la frustration liée à sa fuite. Même si elle ne se sent pas vraiment coupable, bien au contraire. Depuis six mois, elle n’est jamais seule. Pour une fois, elle voulait profiter de quelques instants rien que pour elle, pour se détendre, visiter et être curieuse, sans avoir peur. Ce moment lui a vraiment fait du bien.

Puis, Malik s’accroupit pour vérifier sa blessure. Elle le laisse faire sans sourciller, ce n’est pas comme s’il ne l’avait pas déjà vu plus légèrement vêtue puisque depuis 6 mois il est toujours dans son ombre. Elle l’écoute à nouveau et acquiesce un peu. Elle va jusqu’à l’arme qu’il a envoyée voler et la ramasse pour aller la ranger, elle tousse encore un peu, puis avale sa salive à plusieurs reprises ce qui lui fait du bien. Elle se force à inspirer et à expirer calmement, calmant par la même occasion ses battements de cœur. Elle se tourne à nouveau et lui dit : « Merci… ». De prendre soin d’elle, d’être vigilant, de lui apprendre à se battre. Et d’être aussi patient avec elle, parce que Karrah le sait, elle n’est pas facile à vivre loin de là. Elle reste à nouveau silencieuse à nouveau, puis fait craquer sa nuque avant de s’approcher à nouveau de lui et demande : « Comment trouves-tu la citadelle ? As-tu vu ou entendu des choses inquiétantes ? Ou autre chose de plus positif ? ». Elle est curieuse de savoir ce qu’il pourrait avoir surpris comme murmure sur leur entrée dans l’alliance.

Karrah n’est pas mécontente d’avoir terminé l’entraînement. Bien qu’elle comprenne parfaitement l’utilité de ces moments, elle ne les apprécie pas réellement. Elle n’aime pas se battre et l’idée même de devoir le faire dans le but de tuer ou d’être tuée lui déplaît encore plus. Elle préfèrerait ne pas avoir à le faire. Mais elle sait que tout cela devra arriver, c’est la dure loi de la vie au sein de son clan. C’est comme ça. Malik lui répond et elle ne peut s’empêcher de rire un peu en répondant : « C’est pour ça que je ne m’entraîne pas avec eux… ». Elle marque une pause songeuse avant de dire : « Il faudra quand même que j’aille le faire avec Vallika… Ca fait trop longtemps que nous ne nous sommes pas vues… ». Oui, voir son amie lui fera sans doute du bien. Et puis, elles ont des tas de choses à se dire. Karrah espère pouvoir la convaincre de se joindre à elle dans l’établissement de la paix pour les siens. Elle se redresse un peu passant une main dans les cheveux puis les secoue un peu par habitude dans un geste souple mais empli d’une certaine lassitude. Elle n’a jamais eu l’ambition de devenir chef et tout ça la pèse, mais elle ne doit pas le montrer.

Elle regarde Malik jouer avec son épée, souriant un peu moqueuse à le voir faire. Puis, elle l’écoute répondre à sa question. Elle est plutôt rassurée de savoir qu’il n’a rien entendu. Elle, elle en a entendu des choses en se promenant dans les rues de la citadelle incognito. Mais elle n’en parlera pas, elle sait que le jeune homme le prendrait sans doute mal, tout comme son cousin. Elle répond cependant : « C’est normal qu’ils aient peur de nous… Nous avons massacrés les leurs plus qu’à notre tour, n’est-ce pas ? Ils redoutent les fourberies qui pourraient se cacher derrière cette visite et ce premier pas vers la paix… ». Et Karrah ne peut que les comprendre. De son côté, elle le tait, mais elle doit bien avouer qu’elle redoute un peu ce que l’Alliance pourrait faire en profitant de cet apaisement du côté kelownien. Mais bon, elle n’en dira rien non plus, peut-être qu’elle est un peu trop méfiante. Mais elle se doute bien qu’il faut rester prudent. Cependant elle rajoute en s’approchant de lui : « Mais ils ont tort d’avoir peur de vous, toi et Losran, vous êtes différents, ils s’en rendront compte… ». Elle le frôle au passage puis se dirige vers la demeure de l’Ipa, dans l’objectif certain d’aller se laver, invitant Malik au passage.