Le ciel est bleu. Les oiseaux chantent. La vie semble plus belle qu'elle ne l'a jamais été. La paix règne au milieu des plaines. A perte de vue, les hautes herbes dansent au rythme de la brise et j'avoue avoir une légère fascination pour cette incroyable palette de couleur. Des milliers de nuances vertes qui miroitent sous le soleil, magnifique mosaïque qui me change de celle ambré du désert. J'apprécie grandement m'égarer dans cette contemplation, écouter les murmures des hautes herbes, les murmures des esprits, à méditer et à chercher les voies possibles sur lesquelles me pas me mèneront bientôt. Bientôt, ma concentration est troublée par une enfant, une jolie petite fille qui vient chercher quelques lignes de maquillages. Assise dans l'herbe un peu en retrait des tables de banquets, des pots en bois pleins de peintures, je dessine des lignes sur les visages des enfants plus pour les amuses que par réel rituels mais tous, un part un, ils viennent me défier, défier cette crainte étrange de la chamane shisayo qui attire les murmures et les regards curieux ou dédaigneux. Cela ne me dérange pas. Et petit à petit, les enfants affrontent leurs craintes, surement en partie grâce à Ganesh qui sautille joyeusement autour de moi, mangeant parfois quelques touffes d'herbes.

Finalement, le calme revient. Et Ganesh s'éloigne un peu. La chèvre blanche a plusieurs mèches colorées : jaunes, oranges, violettes ou bleues, tirées d'épices, de légumes, d'algues ou de fruit, et même de certains insectes. Combien de temps s'écoule durant l'absence de Ganesh ? Je ne saurais le dire. Mais lorsqu'elle revient, la chèvre bêle joyeusement, me tirant d'une nouvelle phase de méditation. A ma grande surprise, l'animal n'est pas seul, il en a ramené un autre. Un chien, à l'allure presque lupine, qui en vient à me faire douter de sa filiation. Je le détaille, lui aussi me regarde avec ses petits yeux perçants et méfiants. Je lève à nouveau le regard sur les herbes, perchées en haut d'une petite butte, je peux observer à loisir les plaines alentours. Petit à petit, à force de jeu et de calme, le chien vient jusqu'aux pots pour les observer, les renifler. Et quelques minutes plus tard, mes doigts courent dans une fourrure tendue, les muscles roulants sous mes doigts, prêts à attaquer ou à s'échapper. Mais le calme qui est le mien contamine bientôt le chien, dont l'esprit est embrumé par les esprits. A mesure que l'animal se détend, je commence à lui teindre des mèches de sa fourrure. L'une devient orange, l'autre jaune, bientôt une bleue et une rose viennent s'ajouter au tableau. Et petit à petit l'animal se pare bientôt d'une superbe mosaïque de couleur, tout comme la chèvre qui nous tourne autour joyeusement. Finalement, fière de mon œuvre je souris en lui disant : « Te voilà magnifique mon ami » je marque une pause en signalant : « Quelle folie a bien pu te pousser à suivre un tel énergumène ? ». Ganesh, l’animal le plus mystérieux de cette terre. Je crois bien que jamais je ne pourrais entrevoir ne serait-ce qu’une petite étincelle de compréhension sur son comportement.  

Isaak ⎐ Keren

date : 07.150 // lieu : à la fête de l’Alliance

L’attaque sur la fête de l’Alliance est prévue d’ici peu et Isaak est impatient de pouvoir donner une leçon à tous ces gens qui croient en la paix, en l’Alliance, mais surtout à la rouquine qui pense qu’elle peut changer Kelowna aussi facilement. Les rumeurs se font entendre depuis plusieurs semaines, comme quoi l’Ipa lui aurait proposé de faire entrer le clan au sein de l’Alliance et qu’elle aurait accepté. Foutaises. Blasphème. C’est une honte pour Isaak de voir que la rouquine ne prend même pas la peine de suivre les traditions et les lois du clan où elle est née. Elle est une honte, c’est une trahison envers Laëth et tout ce que cette femme a fait pour le clan durant des décennies. Alors le guerrier est impatient de pouvoir taillader quelques corps d’ici le jour prévu, que ce soit des kelowniens ou pas. En attendant de pouvoir se lancer dans la bataille, la curiosité de l’homme l’a conduit à s’approcher de la fête tout en restant tout de même prudent. S’il peut aisément passer pour un kelownien auprès des autres clans de l’Alliance, il se méfie toujours de ceux qui le connaissaient avant qu’il ne prenne la route de Port-Victoire. Il pourrait aussi avoir le malheur de tomber sur son frère ainé et de se faire reconnaître bêtement.

Mais cela fait un petit moment que Kavik s’est éloigné de lui et Isaak commence à se poser des questions. C’est donc pour le retrouver qu’il part à travers les prairies en se rapprochant des gens qui fêtent les dix ans de l’Alliance, impunément. Il entend des rires et des voix d’enfants et ne se pose plus de questions : le chien est forcément là-bas. Si son animal n’a rien d’un ours en peluche avec les autres, lorsqu’il trouve des enfants c’est un tout autre chien. Avec Astrid, il devient un animal complètement idiot, à se rouler par terre pour réclamer des câlins. Un autre chien, totalement différent de celui que Isaak connait depuis des années.

Et le chien qu’il aperçoit à travers les hautes herbes est totalement différent lui aussi. Coloré, de la tête aux pieds. Son magnifique pelage gris et blanc est parsemé de couleurs de toutes sortes, ce qui lui donnent un air bien étrange. Toute la virilité de son animal a été supprimée et Isaak ne peut que s’arrêter d’un coup, observant avec stupeur ce qu’est devenu Kavik. Qui s’amuse avec ce qui semble être une chèvre. « Mais c’est pas vrai… KAVIK ! » L’animal tourne la tête à l’appel de son maître mais reprend bien vite sa course poursuite avec la chèvre, qui est tout aussi colorée que lui. C’est alors qu’il aperçoit la femme un peu plus loin, une femme à la peau hâlée qui a les mains couvertes de couleurs. « C’est vous la responsable de ça ? » Il s’avance tout en posant sa question, mesurant le ton de sa voix pour ne pas paraître trop énervé. Ce ne sont que quelques couleurs sur la fourrure de son animal et il vaudrait mieux éviter de s’emporter pour ça, ici et maintenant.  

L’endroit est calme à présent. Il n’y a plus d’enfant pour le moment. Peut-être plus tard un courageux viendra braver sa peur. Je regarde les deux animaux qui jouent. Ils se poursuivent, Ganesh donne parfois des coups de ses petites cornes et en retour le chien la mordille. Les voilà qui roulent ensemble dans les herbes avant de recommencer à sautiller dans tous les sens, dans une danse étrange qui capte finalement mon attention pour me laisser glisser dans un état doux de méditation. Comme si les mouvements, balancements guidés par les esprits, contenaient des réponses sur le monde qui m'entoure, des réponses aux questions que je me pose. Mais pour le moment, cette étrange et douce méditation ne donne rien. Je me contente d'effleurer les réponses, de les entrevoir, d'entendre les murmures mais je n'arrive pas à attraper une quelconque réponse. A chaque fois que j'en approche une, elle disparaît. C’est à la fois fascinant et frustrant comme état. Le fait de savoir que toutes les réponses sont là, dans ce mouvement qui semble aussi perpétuel qu’imprévisible et ne pas pouvoir les atteindre. C’est magique mais totalement exaspérant.

Finalement, c'est une voix qui me sort de mes songes. Je réintègre la réalité, quittant la méditation et toutes ces réponses mystiques. C’est un homme, qui interpelle quelqu'un. Il n'y a que moi et les deux animaux. Le chien relève la tête et moi, je relève le regard sur l'homme. Assez facile de dire qu’il vient chercher le chien, mais celui-ci ne semble pas réellement intéressé et recommence à jouer. Je détaille celui qui est debout au milieu des plaines. Les esprits sont troubles autour de lui. Il est jeune, il a un regard perçant et ne semble pas apprécier mon œuvre. Magnifique œuvre qui ne fait qu'embellir l'animal. Qui est-il ? D’où-vient-il ? Le froid du vent qui souffle semble venir du nord, mais il est plutôt vêtu comme un homme des plaines. C’est plutôt étrange. D’autant que le loup pourrait venir des forêts d’Orketa. Je m’arrête sur le vent du nord, mais je ne dis rien, je me contente d’écouter. Il s'adresse ensuite à moi, me demandant si je suis la responsable de ça. Je souris un peu et je réponds : « Si vous parlez de la chèvre, en effet, c'est moi » mon sourire ne disparaît pas et je reprends : « Il a l'air de beaucoup s'amuser ». Mais je sais bien qu'il ne parle pas de Ganesh mais bien des couleurs. Je plonge mon index et mon majeur dans la peinture corporelle orange et je les ressors : « Puisque vous êtes là, vous devriez en profiter... ». Je le regarde simplement, toujours aussi tranquille et calme.

Isaak ⎐ Keren

date : 07.150 // lieu : à la fête de l’Alliance

De toutes les situations tordues dans lesquelles Isaak aurait pu retrouver son chien, celle-ci est sans doute la pire pour lui. Kavik n’est pas un animal en peluche que l’on offre à un enfant pour l’amuser, c’est un chien qui n’hésite pas à prendre part aux combats pour mordre quelques mollets et déchiqueter quelques visages si cela l’intéresse. C’est un chien avec une allure de loup qui a fait paniquer bien de nombreux hommes et femmes au cours des différents raids portés par la dissidence. Mais là, il ne ressemble plus vraiment à ce chien-là. La femme semble s’amuser de la situation et répond à la question d’Isaak par une pirouette, ce qui lui fait froncer les sourcils. « Vos poudres ont dû le droguer. » C’est la seule explication possible pour Isaak qui observe son animal sautiller dans les plaines à la suite d’une chèvre. Kavik a dû respirer les trucs que cette femme a utilisés sur lui et s’empoisonner, c’est la seule explication possible à son comportement actuel.

Isaak siffle à nouveau son chien tout en l’appelant mais celui-ci ne l’écoute pas du tout. Et voilà que la femme veut aussi le peindre avec ses trucs étranges. « Ne vous approchez pas de moi avec ces trucs. » Il se retient de porter la main à sa ceinture pour en sortir la petite hache qu’il porte toujours sur lui, parce qu’il ne veut pas créer un incident quelconque et se faire attraper au milieu des plaines. Mais cette femme ne semble pas être tout à fait normale. « Je vous préviens, il est hors de question que je reparte avec mon chien dans cet état. Vous allez lui rendre ses couleurs d’origines. » Non mais un chien loup orange et bleu, on aura tout vu … 

L'homme qui me fait face ne semble pas très ouvert à ma bonne humeur et à mes pirouettes verbales. Au contraire, il semble plutôt incommodé par l'apparence de son chien. Sans doute n'est-il pas un chien du genre doux et docile. Et je veux bien le croire, avec son allure de loup, il est surement effrayant. J'aurais pu moi-même m'en inquiéter si je n'avais pas une parfaite confiante en Ganesh. Si la chèvre a choisi d'amener le chien jusqu'à moi, c'est sans doute parce qu'elle savait qu'il ne me ferait rien. Et je dois dire qu'il n'a pas été des plus simples à peindre. Toujours un peu méfiant, toujours un peu sur les nerfs, prêt à attaquer au moindre geste inquiétant. Mais je ne représente pas une menace loin de là. Je ne dégage que douceur et harmonie. Dans un état si calme, j'appartiens presque à la nature, je me fonds dans les esprits et ne représente plus alors une réelle inquiétude physique. Présente sans tout à fait l'être. Je penche un peu la tête lorsqu'il reprend la parole et je lui réponds : « Elles sont prévues pour les enfants, il n'y a aucune substance de ce genre dans ces peintures ». Je suis habituée à en utiliser pour les guerriers de mon clan, mais jamais pour les enfants. Ici et maintenant, ces teintures ne sont prévues que pour amuser les enfants.

Il essaie à nouveau de siffler le chien, mais celui-ci ne réagit pas. Je souris un peu amusée. Ganesh semble bien plus intéressante en cet instant. Je lui propose de lui tracer quelques marques, mais il refuse catégoriquement. « Quel dommage... ». Je fais la moue, restant songeuse un instant. Les esprits sont troubles autour de lui. Ayant déjà les doigts recouverts de peinture, je trace un symbole sur mon bras remontant jusqu'à mon épaule. Un symbole shisayo. Je redresse ensuite le visage pour le regarder lorsqu'il reprend la parole. Il veut que je lui rende son chien tel qu'il le connaissait à l'origine. Je souris un peu en disant : « Un bon bain dans la rivière et il retrouvera son pelage d'origine... Mais lui ne semble pas en être dérangé, bien au contraire ». Je le regarde longuement, ayant bien du mal à comprendre ce qu'il le dérange autant. Assise en tailleur, je pose une main sur mon genou et de l'autre désigne l'espace en face de moi en disant : « Et si vous me teniez compagnie pendant qu'il continue à s'amuser ? ». Je suis un peu intriguée, je dois bien l'avouer. J'ai du mal à lire autour de lui, à lire en lui. Son regard est fermé, son âme protégée par des défenses difficiles à pénétrer. « Je m'appelle Keren ». Je souris toujours, avec cette douceur qui m'est caractéristique.

Isaak ⎐ Keren

date : 07.150 // lieu : à la fête de l’Alliance

Il est hors de question pour Isaak de retourner dans la forêt avec Kavik dans cet état, ses camarades se moqueraient de lui dès la première seconde. Alors ça lui parait normal que la femme répare ses bêtises et nettoie son animal pour lui rendre sa couleur d’origine. Mais celle-ci ne semble pas vraiment décider à s’occuper de Kavik et se sert de la peinture qu’elle a encore sur ses doigts pour se peindre le bras, un symbole que Isaak reconnait comme étant Shisayo. La femme doit venir de ce clan du sud où il s’est déjà rendu à quelques reprises lors de raids. Il l’observe, dépité, lorsqu’elle lui répond qu’il suffira juste d’un petit bain dans la rivière pour que l’animal retrouve sa couleur d’origine. Elle est vraiment sans gêne cette femme et Isaak ne peut s’empêcher de rire doucement devant sa réponse. Elle a l’air vraiment ailleurs, à lui proposer de venir lui tenir compagnie pendant que les deux animaux continuent de s’amuser.

Isaak observe son chien qui s’amuse avec une chèvre puis finit par soupirer avant de hausser les épaules, abandonnant toute idée de se faire obéir par l’animal pour le moment. Et puis après tout, il est là pour essayer de se fondre dans la masse, autant commencer tout de suite avec cette femme, même si elle ne semble pas être dans un état très normal. Isaak retire son épée de sa ceinture avant de s’assoir à côté de la jeune femme, tout en laissant une distance correcte entre eux deux, au cas-où. « Isaak. » Il l’observe en coin puisse baisse rapidement son regard sur ce symbole qu’elle s’est dessiné sur le bras. « Shisayo hein ? Tu viens de loin pour cette fête. » Qu’est-ce qui peut bien pousser les gens à faire des jours et des jours de route pour venir fêter l’Alliance, cette chose inutile que la rouquine veut faire rejoindre à Kelowna ?

Lorsqu'il se met à rire, les esprits se troublent autour de lui. Le garçon qui lui fait face est bien étrange. Il a l'air âgé mais son aura trahit une certaine jeunesse, probablement endurcit par une vie assez dure que traversent la plupart des gens ici-bas. Je n'arrive pas réellement à lire en lui. Ses yeux sont étranges, comme inaccessible. Il semble irrité du sort que j'ai réservé à son chien, sans pour autant être hors de lui, ce que pourraient signifier ces esprits si froids qui tournent autour de lui. Il m'intrigue et lorsqu'il retire son épée de sa ceinture pour s'asseoir, je lui adresse un nouveau sourire. Il reste à bonne distance, comme pour se protéger d'une initiative colorée de ma part, mais se présente en me donnant son prénom. Je réponds : « Enchantée, Isaak ». Et je le suis. J'aime faire de nouvelles rencontres. C'est quelque chose qui ne changera probablement jamais chez moi. J'aurais toujours à cœur de continuer à apprendre des choses et pour cela rien ne semble mieux que de rencontrer des gens et de discuter avec eux.

Il reprend la parole et je le regarde simplement. Il sait de quel clan je viens et si la couleur de ma peau pourrait être une indication, il n'en est rien. De nombreuses personnes à la peau foncée arpentent les autres clans. Alors j'imagine qu'il a reconnu le symbole que je viens de tracer. Comment pourrait-il savoir autrement ? A moins qu’il ne me connaisse ? Je le détaille un peu plus, mais son visage ne me dit rien. Je ne crois pas avoir déjà croisé sa route. Je reste songeuse un instant. De toute façon je n'ai rien à cacher. Alors je réponds : « En effet oui ». Et comme il a constaté que je viens de loin pour cette fête, je souris un peu et je reprends la parole : « Mon chemin me mène parfois loin du désert lorsque cela est nécessaire. Et j'avais très envie de retrouver de vieux amis ». Rencontrés çà et là dans les clans à force de voyager. Et j'avais l'impression que je devais être là. Alors me voici. Je reste là, à sourire, puis je lui demande : « As-tu déjà vu le désert ? ». Je sautille un peu et je rajoute : « Et toi, d'où viens-tu ? ». Je suis surement trop curieuse, mais pourquoi réprimer ma nature ? Je reste là, posant mes bras sur mes genoux, comme pour méditer. Mais je suis là, ma conscience reste focalisée sur Isaak.

Isaak ⎐ Keren

date : 07.150 // lieu : à la fête de l’Alliance

Cette femme assise à côté de lui l’intrigue. Déjà parce qu’elle n’a pas l’air d’avoir toute sa tête mais surtout parce qu’elle a fait de nombreux jours de voyage pour venir fêter les dix ans d’une alliance à laquelle Isaak ne croit pas du tout. Il se demande ce qui peut réellement pousser les gens à parcourir de telles distances juste pour célébrer la paix, qui de toute évidence est bien fragile. Il ne comprend pas cet attrait pour l’Alliance, ce truc que veut faire rejoindre la rouquine à son clan de naissance alors qu’ils sont plutôt habitués aux batailles et à la guerre depuis des décennies. C’est inenvisageable pour Isaak que les kelowniens retournent leurs vestes aussi facilement pour devenir pacifiques.

Il tourne légèrement la tête lorsque la femme répond à sa question. Elle semble avoir l’habitude de voyager et ne pas être plus dérangée que cela d’avoir dû quitter son clan pour venir jusqu’ici. Même s’il apprécie de sortir de Kelowna pour les différents raids auxquels il participe, Isaak apprécie aussi de pouvoir rentrer chez lui, sur les terres qui l’ont vues naître, et d’y rester. Kelowna est toute sa vie, il est un kelownien jusqu’au bout. « J'y suis allé une fois, j’ai détesté. Trop de sable. » Il rit doucement avant de la regarder. Il est allé en Shisayo une seule fois lors d’un raid où ils s’étaient aventurés bien plus au sud que les terres pankara, mais Isaak n’a pas vraiment aimé ces terres arides et hostiles. Trop ensoleillées, trop sèches, trop oranges. « Je viens de Kelowna. Je suis né dans un village qui s’appelle Brinim, au milieu de la forêt. » Enneigée, la plupart du temps. « C’est différent d’ici, ici tout est plat. » Et trop verdoyant aussi. Il a hâte de pouvoir retourner à Port-Victoire parce qu’il n’apprécie pas forcément les terres où il se trouve en ce moment. « Tu es déjà allée au nord ? Maintenant que Kelowna a changé de chef, je suppose que certains vont vouloir venir sur nos terres. » Des étrangers, à Kelowna… La rouquine va vraiment mettre leur clan à feu et à sang.

Nous voilà assis l'une en face de l'autre avec un espace raisonnable le protégeant de toute initiative de contact de ma part. Je ne lui en veux pas, c'est normal. Nous devons être raisonnablement méfiants à l'encontre des gens que nous ne connaissons pas, même en temps de paix. Surtout lorsque le vent qui s'enroule autour de lui est si froid. Si étrange. « Le sable a beaucoup de qualités, mais elles sont parfois difficile à percevoir ». Je souris un peu amusée. Le sable du désert me manque à chaque fois que je quitte mon clan. L'air du désert est corrosif, toujours chargé de petits grains rugueux qui viennent abîmer les vêtements et les corps. L'air ici est bien plus doux, caressant. Mais il ne me plaît pas autant que l'air du désert qui a toujours su comment me charmer, comment me parler. « Peut-être devrais-tu lui laisser une autre chance. Le désert est riche en découverte : autant sur soi que sur notre monde... ». Je souris un peu mystérieusement.

J'apprends finalement que l'homme qui me fait face est un kelownien. Il vient de Brinim. Le village dans les forêts. Je souris un peu plus. Bien sûr que c'est différent d'ici. Tous les clans sont différents les uns des autres. Le sien est enneigé, froid, immense et si dangereux qu'il en donne froid dans le dos. J'ai déjà vu le village dans lequel il est né, c'est là que j'ai rejoint Muire, la chamane du clan du nord, la fille des glaces, la princesse des neiges. Si belle, si fascinante. J'espère pouvoir la revoir, un jour, bientôt. Il me demande si je suis déjà allée au nord, parlant de ceux qui voudront surement venir chez eux. Je souris et j'acquiesce un peu : « Je suis déjà venue oui, il y a quelques semaines. J'étais à la recherche de quelqu'un. J'ai trouvé quelqu'un d'autre ». Je reste songeuse avant de dire : « J'ai eu l'occasion de découvrir les alentours de Brinim ainsi que le village ». Je me souviens de ces quelques jours passés dans le nord. Je me souviens surtout du froid et de la beauté de la neige. « C'était la première fois que je voyais autant de neige... Je n'imaginais pas à quel point c'était aussi beau ». Une fine couche, nous étions déjà bien avancé dans l'année, mais pour une fille du désert cela paraissait beaucoup. Miroitant sous la lumière, avec ce bruit sous le pied si caractéristique.

Isaak ⎐ Keren

date : 07.150 // lieu : à la fête de l’Alliance

Isaak ne peut s’empêcher de sourire doucement lorsque la jeune femme à côté de lui lui dit qu’il devrait laisser une nouvelle chance au désert, parce que celui-ci est riche en découverte. Elle a sans doute raison, il y a pas mal de choses à découvrir au sein du clan Shisayo mais Isaak est persuadé qu’ils n’ont pas les mêmes choses en tête à ce moment précis. Ce qui intéresse son peuple c’est de piller, pas nécessairement de rencontrer une nouvelle culture ou d’en apprendre plus sur leur façon de vivre dans le sable. Leurs richesses intéressent bien plus que ce qu’ils peuvent apporter culturellement. Mais il n’ira pas dire cela à la jeune femme installée dans les prairies juste à côté de lui, parce qu’il essaye de passer pour un ami, non pour un ennemi.

Cela ne semble pas la déranger qu’il soit kelownien et Isaak trouve cela bien étrange. Les gens devraient avoir peur d’eux rien qu’en entendant leur nom, ils ne devraient pas avoir envie de s’assoir ainsi dans les hautes herbes pour discuter. Tout ce changement vient de la rouquine et Isaak est contre tout cela, il veut que son clan redevienne comme il était avant. Que le nom des kelowniens inspire la méfiance, la peur. Pas qu’on les prenne pour des amis pacifiques venus marchander pendant la fête de l’Alliance. Mais chaque chose en son temps, l’attaque aura bientôt lieu et Isaak n’attend que cela.

Il écoute la jeune femme lui raconter qu’elle est déjà venue en Kelowna pour rechercher quelqu’un et qu’elle a trouvé quelqu’un d’autre à la place. Il fronce doucement les sourcils et l’observe tandis qu’elle parle de Brinim et de la neige. Il ne peut s’empêcher de rire doucement. « Cela change du sable. La neige est bien plus agréable à regarder, bien plus paisible que le désert. » C’est peut-être aussi pour cette raison que Isaak n’a pas réellement apprécié le temps qu’il a passé en shisayo, parce qu’il n’a pas vraiment aimé cette hostilité ambiante autour de lui. « Et as-tu finalement trouvé la personne que tu recherchais ? » Il est curieux de savoir qui la jeune femme pouvait bien être venue chercher sur les terres kelowniennes.

Me voilà à discuter avec un kelownien. Un gentil kelownien. Probablement un kelownien ayant pris de nombreuses vies, ayant pillé de nombreux bien, peut-être même ayant déjà fait prisonnières quelques femmes trouvées sur sa route. Mais je sais que les gens peuvent changer. Les choses évoluent, le monde bouge et nous devons bouger avec lui. L'entrée de Kelowna dans l'Alliance ne plaît pas à tout le monde, mais les esprits semblent plutôt en paix avec cela. Ils accueillent leurs homologues du nord avec une certaine curiosité, d'esprit à esprit. Et même si ceux qui tournent autour d'Isaak sont froid, ce qui m'intrigue un peu j'en conviens, je suis curieuse de le découvrir. La paix est une bénédiction. L'entrée de Sengoli dans l'Alliance ne m'a pas fait plaisir. Mon objectivité et ma neutralité de shamane ont été mises à rude épreuve car les guerriers contre Sengoli ont emportées mon père... Mais la paix revenue a été un don pour notre clan. Et aujourd'hui, notre frontière sud est calme, notre clan n'est plus en danger perpétuel. Alors l'entrée de Kelowna dans l'Alliance ne peut apporter que de bonnes choses. Moins de pillage, plus de meurtres gratuits. Juste cette paix qui caractérise notre Alliance et pour laquelle nous continuons à œuvrer depuis dix ans.

Lorsqu'il me dire que la neige est plus agréable à regarder, je souris un peu amusée. Je le laisse terminer avant de répondre : « La neige et le sable sont bien plus similaire que tu ne le penses. Leur brûlure est douloureuse, les tempêtes sont déstabilisantes, leur beauté est fascinante... ». Oui, les étendues enneigées qui se trouvent au nord et l'étendue désertique de notre clan ont de nombreux points communs. Des différences également, mais dans tous les cas elles sont aussi fascinantes que dangereuses. Lorsqu'il me demande si j'ai finalement trouvé la personne que je cherchais, je souris un peu tristement avant de dire : « Malheureusement, non ». Je reste songeuse un instant, pensant à ma sœur, disparue depuis si longtemps, probablement aux mains d'un monstre sanguinaire. Je réprime le frisson qui remonte ma colonne vertébrale puis dit : « Mon chemin ne m'a pas mené jusqu'à elle, mais je ne désespère pas. Je sais que nous nous retrouverons quand il sera temps ». Cela ne m'empêche pas de continuer à chercher. Je pourrais attendre, continuer ma vie, mes quêtes en faisant confiance aux esprits. Mais une partie de moi aimerait forcer un peu les choses, être sûre de la retrouver vivante, pouvoir la serrer à nouveau dans mes bras. Un léger soupire franchit mes lèvres puis je lui demande : « Et toi... Qu'est-ce qui t'amène ici, dans les plaines ? » je marque une pause avant de demander : « Apprécies-tu le temps que tu passes avec nous ? ». Après tout, c'est le but premier de cette fête... Passer de bons moments, resserrer nos liens.

Isaak ⎐ Keren

date : 07.150 // lieu : à la fête de l’Alliance

Quand la femme lui répond que la neige et le sable sont finalement très similaire, Isaak ne peut s’empêcher d’esquisser un petit sourire. Elle a peut-être raison, mais rien ne lui fera apprécier le sable des terres du sud. Il aime son clan et il en est fier, même si celui-ci n’est plus vraiment le même depuis quelques mois. Et il ne doute pas que la rouquine va finir par faire n’importe quoi à sa tête. Il a hâte de la voir tomber de son poste de chef, qu’elle y soit poussée par la dissidence ou par quelqu’un d’autre. Parce que Kelowna l’a bien prouvé, les chefs de clans sont toujours remplacés à un moment où à un autre.

Alors il faudrait que la jeune femme face à lui fasse au plus vite pour retrouver la personne qu’elle recherche, parce que si Kelowna change de clan à un moment donné, elle ne pourra sans doute plus se rendre aussi facilement sur les terres du nord. Que le clan reste fermé, qu’ils restent entre kelowniens et que les étrangers restent chez eux, à attendre qu’ils viennent les piller et les attraper pour les réduire en esclavage. Tout simplement. Mais Isaak n’ira pas donner le fond de sa pensée à la jeune femme qui se trouve à ses côtés à ce moment-là, parce qu’il essaye de ne pas dévoiler sa véritable identité. Alors il essaye de compatir avec cette femme qui recherche quelqu’un qui est sans doute mort depuis bien longtemps. « Tu retrouveras cette personne un jour. Peut-être même qu’elle est venue à la fête aujourd’hui. » Il a de gros doutes cependant.

Isaak réfléchit à sa question durant quelques secondes, ses yeux se posant sur son animal qui a enfin arrêté de courir après la chèvre et qui semble se reposer un peu, tranquillement allongé dans la prairie. Il ne peut décemment pas lui donner les vraies raisons de sa présence ici, alors il ment encore une fois. « La curiosité surtout. » Bon, ça ce n’est pas entièrement un mensonge, c’est sa curiosité qui l’a poussé à venir dans les prairies aujourd’hui et à rencontrer cette femme. « L’Alliance c’est quelque chose que mon peuple ne connait pas forcément. Je voulais voir ce que c’était vraiment, pour me faire une idée sur tout cela. » Et l’idée il se l’est bien faite ces derniers jours. « Pour l’instant, ça me plait assez. Et quelque chose me dit que les derniers jours de fête seront les meilleurs. » Il esquisse un sourire avant de se redresser pour se remettre sur ses pieds, récupérant son épée par la même occasion. « Je vais devoir te laisser, mes amis m’attendent et je dois trouver un point d’eau pour nettoyer mon chien. » Parce qu’il est hors de question pour lui de retourner au campement avec Kavik dans cet état. « Nous nous reverrons peut-être d’ici la fin des festivités, qui sait ! »

Il ne répond pas lorsque je lui évoque les similitudes entre le sable et la neige. Cela ne m'étonne qu'à moitié, il n'a pas très envie de m'accorder que le sable est aussi beau que la neige. Je peux le comprendre, quand on a connu quelque chose toute sa vie, c'est difficile de s'ouvrir au reste du monde. Cela ne me dérange pas, je continue à lui sourire et à poser un regard bienveillant et calme sur lui. Non loin d'eux, le chien et la chèvre continuent à s'amuser et à remuer. Je fais craquer ma nuque un peu et m'étire pour détendre mon dos. Je suis assise depuis plusieurs heures maintenant et je commence à me sentir un peu raide et courbaturée. Ce qu'il me dit ensuite me tire un sourire et j'acquiesce un peu : « Peut-être bien. En tout cas, je suis là où je dois être pour le moment ». Ainsi doivent être les choses. J'ai suivi le chemin tracé pour moi par les esprits. Je me trouve très exactement où ils voulaient que je sois. Le reste n'appartient qu'à eux.

Puis, je lui demande ce qui l'amène. Il reste silencieux un moment avant de me répondre. Le chien s'est effondré dans l'herbe, langue pendante. Shiva elle, arrache une touffe d'herbe pour la manger. Il est ici pour satisfaire sa curiosité. Je souris un peu et je repose mon regard sur lui. Il reprend la parole et je l'écoute. Se faire une idée sur les choses, sur l'Alliance. Il n'a pas tort. De la même façon que certains sont ici pour découvrir les kelowniens, pour mieux comprendre ce qui les pousse à changer, pour évaluer si oui ou non ils sont prêts à suivre leur chef. Il poursuit son raisonnement et ses explications et je l'écoute toujours, d'une oreille attentive. Il se relève finalement pour justifier qu'il doit nettoyer son chien. Je souris et je me relève à mon tour. Puis je lui dis : « Tu as probablement raison. Les derniers jours de festivités recèleront sont toujours les plus agréables ». Dans ce genre de rassemblements. Les gens se rapprochent, se soudent, passent du bon temps et s'amusent. Finalement, je lui dis : « Je l'espère. Et j'espère que tu trouveras les réponses à ta curiosité, que ce que tu trouveras dans les plaines sera à la hauteur de tes attentes ». Je le regarde à nouveau et lui sourit, avant de finalement les laisser s'éloigner lui et son chien, rappelant la chèvre qui les suit un peu, avant de revenir vers moi, tête basse.