Une ambiance légère régnait à Nisida alors que les préparatifs pour la fête de l’Alliance battaient leur plein depuis déjà plusieurs semaines. Laissant de lourds nuages masquer un instant le soleil, Ila s’arracha à ses rêveries pour reprendre son travail. Il lui était de plus en plus difficile de se concentrer et savoir que l’Ipa et de nombreux chefs de clan se trouveraient bientôt sur les terres de son clan n’y aidait pas franchement. Elle ne cessait de se demander à quoi ressemblait Akeela ou comment se déroulerait la fête. Elle-même, simple petite fille, aurait la chance de pouvoir prendre part aux festivités. Son père, Elwë, avait même réussi à échanger ses bons services contre un ruban et un nouveau jupon. Il lui avait fait la surprise la veille, lui assurant qu’elle serait toute aussi élégante que les autres pour l’occasion. Elle n’en était pas revenue quand elle avait touché le tissu léger et soyeux. C’était l’un des cadeaux les plus précieux qu’on lui ait jamais fait. Pour sûr, elle avait le meilleur papa du monde ! A tel point qu’elle en oubliait qu’il n’était pas vraiment le sien.
Revenant à ce qui l’occupait, elle continua de réparer une paire de bottes. La chaleur offerte en ce milieu d’après-midi et la douce odeur émanant des plaines l’avaient conduite à s’installer devant la boutique sur un petit tabouret. Ce qui lui permettait, en même temps, de profiter de l’agitation ambiante. Une femme passa avec un panier plein de fruits aux couleurs splendides et Ila en oublia à nouveau sa tâche jusqu’à ce qu’un homme relativement mal habillé et peu avenant ne s’arrête devant elle et ne projette une ombre sur sa minuscule silhouette. Elle leva le visage et se redressa d’un bond en constatant qu’il s’agissait d’un client. Il désirait récupérer les chaussures qu’il avait commandé. Ila ne se fit pas prier et partit les chercher derrière le comptoir. Le vieux Spok était en train de dormir et il émanait de son corps imposant et aviné un ronflement très amusant pour la fillette. Son père, lui, s’était absenté pour une course. Il lui faudrait donc se débrouiller toute seule, même si elle commençait à avoir l’habitude maintenant.
Elle retourna à l’extérieur et tendit à l’homme le modèle confectionné à sa demande. Il l’examina rapidement avant d’exprimer son contentement par un hochement de tête bourru. Puis, il fit un pas sur le côté. Sans se laisser démonter, Ila tendit sa main droit devant elle, aussi haut qu’elle le pouvait.
« Vous nous devez deux sacs de blé. » Avec un regard soudain moqueur et détestable, l’homme se pencha en avant.
« Ah, vraiment ? » Il se gratta ensuite la tête tout en regardant ailleurs.
« Il me semble avoir déjà réglé. En avance même. » Le visage d’Ila se crispa. La prenait-il pour une idiote ou tentait-il seulement de profiter d’une jeunesse qu’il associait certainement à une forme d’inexpérience ou de bêtise ? Si c’était le cas, il se trompait et elle était bien déterminée à le lui montrer.
« C’est faux. Vous avez passé commande il y a une semaine et mon père s’est démené pour y répondre dans les temps. Vous nous devez donc deux sacs de blé. » Elle leva encore plus haut son bras.
Avec tous ces étrangers, représentants d’autres clans, présents en ville depuis quelques temps maintenant pour assister à la fête ou en récolter quelques bénéfices commerciaux, elle tombait forcément sur des individus encore plus mal élevés qu’un cochon. Elle commença à s’impatienter et haussa le ton.
« Maintenant ! » Elle avait toujours été tellement protégée, encadrée et choyée qu’elle ignorait parfois où se trouvait sa place et l’intérêt d’y rester. L’homme repoussa violemment sa main, la projetant en arrière de quelques pas.
« Écoute gamine. Essaye encore de faire la loi et j’t’en colle une. » Sûr, cet homme n’était pas un Askhadi. Ila déglutit avec difficulté et jeta un bref coup d’œil autour d’elle. Elle aurait tellement aimé apercevoir son père ou même entendre le vieux cordonnier se réveiller. Mais non, le ronflement bruyant continuait à lui parvenir. Dommage, il n’aurait pas rechigné à la défendre à coup de balai sur le dos de son agresseur.
Comme si ce n’était pas suffisant, l’homme se rapprocha d’un pas. Ila serra les poings.
« Si vous ne pouvez pas honorer l'échange, alors rendez moi les chaussures. » Elle savait qu’elle ne craignait rien. Il y avait du monde dans la rue. Personne n’aurait laissé un fillette se faire attaquer. Pourtant, l’homme restait relativement calme en apparence, rendant difficile le moindre soupçon. Il poursuivit avec un air amusé. «
Tu ferais un bien beau chiot dans une arène... » Il s’avança d’un pas, puis d’un autre, jusqu’à se trouver à seulement quelques centimètres d’elle.
« Tu me laisses partir ou je reviens couper tes jolis cheveux. » Ila ne savait plus quoi répondre. Elle aurait tellement aimé que tout cela s’arrête. Maintenant. Que ce soit seulement un mauvais rêve. Ou qu’un guerrier mystérieux vienne la secourir, comme dans les histoires des conteurs.
(c) Earth & Ashes