8ème mois de l'année 150

Ilanah avança d’un pas décidé à travers les rues de la Citadelle. La veille, alors que Rigel l’avait obligé à aller se coucher avant que l’ambiance dans l’auberge ne devienne trop indécente pour son jeune âge, elle s’était arrêtée en haut des escaliers pour écouter une conversation. Le mot qui l’avait interpellé n’avait en soi rien d’extraordinaire. Mais pas pour elle. Une bibliothèque. Il y avait une bibliothèque à la Citadelle. La seule qu’elle ait jamais vu était celle de l’un de ses instructeurs en Askhadi. Impressionnante pour la jeune fille, mais au fond assez modeste. Pourtant, ce soir-là, son intérêt avait été tout autre. Il ne s’agissait pas seulement d’aller feuilleter des livres et assouvir sa soif de connaissances, mais avant tout de découvrir si elle pouvait apprendre quelque chose concernant la disparition de Priya. Les personnes dont elle avait surpris la discussion avait parlé d’archives entreposées au même endroit. Par des archives, cela ne sous-entendait-il pas qu’il y aurait des données géographiques ou le recensement de cas d’enlèvement ? Elle rêvait certainement un peu trop, mais si elle pouvait se raccrocher à quelque chose pour espérer, alors elle le ferait. Par chance, Buck lui avait demandé d’aller déposer une lettre pour lui chez un vieil ami. C’était l’occasion pour la jeune fille de faire un détour en prétextant plus tard qu’elle s’était perdue.

Elle gravit les marches d’un immense escalier, et se retrouva bientôt sur une grande place qui surplombait en partie le reste de la ville. C’était magnifique, vraiment. Ila aurait tellement aimé que son père adoptif voit ça aussi. Elle ferma les yeux un instant, puis les rouvrit douloureusement. Elle se détourna et reprit sa marche jusqu’à se retrouver devant le bâtiment où se trouvait la bibliothèque. Elle en franchit le seuil avec anxiété. Tout ce savoir. Elle se sentait si petite à côté. Machinalement, elle épousseta sa robe pour tenter d’améliorer son apparence. Sa nouvelle robe, confectionnée par l’aubergiste, Rosa, avec un coté extravagant et un peu trop coloré qu’elle avait du mal à apprécier.  Un vieux monsieur, installé derrière une pile de parchemins, leva les yeux vers elle. Elle s’avança maladroitement. « Bonjour, monsieur. Je… Je souhaiterais entrer dans la bibliothèque. » L’homme avait un visage sévère qui contribua à la faire douter qu’elle puisse pénétrer dans ce lieu aussi facilement. « Vous avez une autorisation ? » Elle déglutit. Elle allait baisser la tête, s’excuser et revenir sur ses pas, quand le visage de Priya lui revint à l’esprit. Elle ne pouvait pas abandonner aussi facilement. Derrière l’adolescente renfermée, il y avait aussi une jeune fille rusée. « Mon père est commerçant et caravanier, il m’a demandé de consulter quelques livres pour ses affaires. » Elle était obligée de dissimuler le mensonge derrière une part de vérité si elle voulait que ça passe. L’homme sembla réfléchir un instant.

« Allez-y. Et prenez grand soin des ouvrages que vous consultez. » Ila acquiesça avec joie. Comment pouvait-il s’inquiéter d’une telle chose ? Pour Ila, ces livres étaient des grands trésors. Elle put enfin entrer dans le lieu et en resta bouche bée. C’était juste incroyable. Toutes ses étagères pleines de livres. Sur des petits panneaux en bois, des indications par rayons étaient données pour faciliter la recherche des visiteurs. Ila prit la direction du secteur archives. C’était un coin particulièrement reculé de l’immense bibliothèque. Ila dut même prendre un escalier, passer devant deux autres intendants du lieu, puis déboucher dans une petite salle plus exiguë et à la forte odeur de poussière. Avec détermination, elle commença à chercher. Les chroniques d’Askhadi. Cela semblait un bon départ, non ? Se croyant seule, elle attrapa une pile de livres et s’installa sur le rebord d’une grande fenêtre pour les consulter. Elle déplia une carte, puis deux. Ce n’était pas ce qu’elle cherchait. Soit c’était complètement hors sujet, soit c’était trop ancien. Elle se leva pour aller ranger le tout et choisir d’autres ouvrages à consulter. En s’approchant de l’étagère et en replaçant un livre, elle aperçut de la lumière de l’autre côté. Elle posa les ouvrages qu’elle tenait au sol et en retira quelqu’un sur l’étagère pour élargir son champ de vision. Il y avait comme un petit espace caché derrière l’immense étagère. Et quelqu’un était là. Une femme penchée sur un livre. Ila la regarda sans se douter qu’il s’agissait de l’Ipa qu’elle respectait tant. Craignant d’être remarquée, elle reprit les livres pour les remettre à leur place. Malheureusement, dans la précipitation, l’un d’eux fut poussé trop loin et tomba de l’autre côté en émettant un bruit sourd.