[Priam - Altaïr] Capitaine à bord !

Le vent frappait les fanons bruyamment. Depuis quelques jours une brise s’était levée et ne se décidait à se calmer. Depuis son arrivée sur le Ranger, c’était la première fois qu’Altaïr devait gérer pareille météo. En même temps, il n’était arrivé qu’il y a un  petit mois à Galene et commençait tout juste à s’acclimater au travail de matelot sur un bâtiment pareil.

Ce n’était pas ce qu’il y avait de plus agréable que de travailler avec le vent ; même dans son ancienne petite vie de pêcheur, lorsqu’il partait en mer, il n’avait pas autant de vent dans le visage, sa goélette n’allait pas assez vite pour cela. Alors il était assez étonné quand dans la capitale, même amarré, il y est tant de vent et redoutait les départs dans l’océan se disant que cette brise serait bien fade face aux tempêtes. Ses compagnons de cabine lui avaient dit que traverser une tempête était ce qu’il y avait de pire, travailler sur le pont alors que dehors il fait nuit noir et qu’il pleut à ne plus en pouvoir. Si ses nouveaux collègues semblaient repenser à ces souvenirs avec des frissons, lui était plutôt excité à l’idée d’en vivre une un jour. « Ne sois pas trop pressé, tu vas vite déchanter » lui avait-on dit. Et ce ne pouvait être que vrai, mais d’un certain côté il était le seul à sourire avec les bourrasques qui cessaient de faire s’envoler les cordes et draps. Tout le monde maugréait et Altaïr, lui, était fasciné, comme toujours. Il rejoignit un de ses colocataires, il nettoyait les rampes. Al prit une éponge et entreprit de l’aider à récurer le bateau, malgré ses cheveux qui venaient sans arrêt dans ses yeux. Son ami leva les yeux et sembla étonné.

 « Tu as vu comme tu es fringué ?!

- Bah quoi ? Altaïr baissa les yeux pour regarder sa tenue, il avait comme d’habitude une chemise déboutonnée en haut pour avoir moins chaud, un corsaire et ses vieilles bottes, rien de très différent que d’habitude.

- T’es pas au courant ? Y’a Priam qui vient voir les nouveaux aujourd’hui ! »

Priam ? Sérieusement ? Et c’était maintenant qu’on lui disait que le capitaine du Ranger et chef du clan venait faire un tour sur son navire pour poser ses yeux sur les nouveaux… Sur lui ! Il n’eut pas le temps de filer mettre une tenue plus adaptée qu’on cria : « Capitaine à bord ! »

Altaïr ses tourna et vit quelques personnes monter à bord, part un homme assez grand et bien bâti qui respirait bien plus de prestance que les autres… C’était lui.

Altaïr s’approcha des autres nouveaux, plutôt poussé par son compagnon que de son plein gré. Il vint se ranger à côté d’eux en ligne alors que Priam s’approchait, son allure reflétant toute l’importance de son rang. Altaïr déglutit, le capitaine était particulièrement impressionnant… et particulièrement important dans la décision qui serait prise à savoir de le garder sur le Ranger ou le renvoyer dans son petit trou maudit. Pourquoi fallait-il qu’il le rencontre pour la première fois dans de telles circonstances ? Avec de tels vêtements ?

Altaïr se maudit d’être aussi tête en l’air, forcément on avait dû lui dire que Priam serait de visite sur le Ranger dans la semaine, pourquoi n’avait-il pas écouté ? Le capitaine les regardait un par un, son regard perçant semblait lire en eux, traquant le moindre fardeau pour le plus majestueux des navires de Galene. Altaïr ne fit pas vraiment attention à ce qu’il disait, son regard s’était porté sur la l’épaule de Priam, il lui semblait que l’une des deux était plus épaisse, surement à cause d’un bandage. Le matelot se rappela alors de la fête de l’Alliance. Il avait appris d’une discussion captée dans une taverne entre deux haut-gradés de Pankara que la Dissidence avait attaqué Askhadi pendant la fête justement pour attaquer l’Alliance en plein cœur. Il avait aussi appris que Priam avait fait les frais de cette attaque et avait été blessé. Maintenant il voyait de ses yeux la blessure ou plutôt constatait sous la manche de cuir du manteau du chef le témoignage de sa plaie. Altaïr déglutit, cet homme s’était fait trancher l’épaule et ne laissait rien paraitre alors que lui se plaignait au moindre petit bobo, il lui manquait encore pas mal de maturité.

Et cet apprentissage de maturité devait commencer dès à présent quand il se rendit compte qu’il n’avait rien écouter de ce qu’avait dit son capitaine le premier jour où il le voyait. Ce qui le sortit de ses pensées fut le coup de coude que son voisin lui planta entre les côtes. Le matelot réprima un cri de surprise et se tourna vers les hommes tous tournés vers lui. Merde… Ils attendent une réponse… Il l’aurait bien donné, sa réponse, si seulement il avait su ce qu’était la question ! Il se maudit de ne pas avoir écouté, il maudit sa pensée d’aller toujours plus vite que sa conscience mais en soit cela ne changeait pas grand-chose à sa situation. Déterminé à faire bonne impression, Altaïr fronça les sourcils pour essayer de se rappeler des derniers mots de Priam, espérant que son inconscient, plus sage que lui, les ait captés et les ressorte maintenant mais bien entendu, son inconscient n’était pas plus sage que lui. Incapable de se rappeler des dernières phrases de Priam, il essaya de deviner ce qu’avait pu dire le capitaine. Surement demande-t-il nos noms. Un coup de poker, il en faisait souvent. Alors, il se jeta à la mer, sans savoir s’il y avait une bouée de secours ou s’il allait directement rentrer dans son petit village.

« Altaïr. »

Il croisa intérieurement les doigts, espérant que Priam leur avait demandé leurs noms.

Bon. Les dieux n’étaient pas avec lui aujourd’hui, ou peut-être que les dieux voulaient-ils lui apprendre à enfin devenir sérieux. Quoiqu’il en soit, à en juger par la réponse que lui donna Priam ce n’était clairement pas son nom que le capitaine voulait savoir. Altaïr se maudit à nouveau intérieurement, qu’est-ce qu’il pouvait être idiot par moment !

Cependant le ton de Priam le rassura, il était certes là pour lui remonter les bretelles mais ce n’était pas méchant, pas moqueur et le mousse le remercia intérieurement pour cela. Il n’avait plus qu’à espérer qu’il soit toujours comme cela et qu’il ne se fasse pas mielleux qu’avec les nouveaux pour éviter de les faire fuir.

Toujours sur ce même ton qui aux yeux d’Altaïr semblait trop bon pour être vrai il reposa sa question. Cette fois le matelot l’avait bien en tête et, même s’il devait répondre immédiatement, il se la repassa en boucle dans la tête pour être sûr. Il n’avait pas le doit à une seconde erreur.

« Oui bien sûr ! Même le Paradis s’il vous plait ! »

Il décrocha quelques rires dans ses rangs et se rendit soudain compte de la stupidité de ces propos. Ce que le stress pouvait lui faire dire n’importe quoi. A aucun moment il avait essayé de se moquer de son chef et pourtant ses pairs l’avaient pris comme cela. Se sentant cramoisir, les joues chaudes de honte il se rattrapa rapidement :

«  Excusez-moi je ne voulais pas… Je voulais seulement dire que j’irais n’importe où le Ranger ira ! »

Altaïr ou sort les rames. Bien trop souvent gaffeur le mousse était l’ami qui vous faisait rire mais face à des gens comme son chef, il se détestait bien volontiers de ne pas savoir réfléchir avant de parler. A ces moments là, il se rappelait des centaines de personnes qui lui avaient rabâché ce vieux proverbe : il faut tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler, Altaïr. Une petite voix dans son inconscient la lui répéta si bien qu’il pouvait s’imaginer la tête de sa mère devant lui, lui faisant la morale, ses deux poings enfoncés dans ses hanches et les sourcils froncés.

Se rappelant soudain qu’il y avait une deuxième question, il reprit :

« J’étais fils de pêcheur mais il y a un moment que je désire travailler sur un navire de guerre plutôt que sur un navire de pêche. Je me suis donc rendu à la fête de l’Alliance pour y trouver un travail et j’ai été engagé sur le Ranger. A mon plus grand plaisir bien sûr, ce navire est réellement incroyable ! »

Altaïr n’avait peut-être pas fait la rencontre avec son capitaine la plus désirable au monde mais il espérait avoir réussi à sauver les murs.

« Sais tu pourquoi ce navire est incroyable ALTAÏR ? Parce que les gens qui travaillent dessus le sont aussi ! »

Encore éberlué par sa propre capacité à répondre à côté de la plaque, Altaïr n’avait pas remarqué l’arrivée de cette femme et ne s’était donc pas préparé à se prendre ce soufflet qui continua à base de grandes leçons de morale et des avertissements ouvertement menaçants. Le matelot n’avait aucune idée de qui pouvait bien être cette femme mais une chose était sûre, malgré sa petite taille, elle avait le sang bien plus chaud que Priam. Peut-être en fin de compte que la terreur du Ranger n’était pas son capitaine ce bout de femme à la langue bien pendue et la voix bien portante. Bien effrayé, Altaïr la regarda avec des yeux de merlan fris, la voix muette par l’incompréhension.

Peut-être était-elle Calypso, la petite sœur et seconde de Priam mais cela serait étonnant, il avait plutôt entendu parler de la bonté, le calme et la gentillesse légendaires de la guérisseuse plutôt que son franc-parler moraliseur. Pour autant, Altaïr se demandait qui pouvait bien avoir le droit de parler ainsi à l’équipage du Ranger en présence de Priam à part elle.

Finalement il revint à lui et fort heureusement, il n’avait pas oublié les ordres donnés. Il ne chercha pas à la contredire ou lui demander qui elle était, le simple fait que Priam ne la dévisage pas montrait qu’il se devait de lui obéir. De toute façon, le mousse se demandait bien à qui il ne devait pas obéir, lui qui était tout en bas de la chaîne alimentaire. Or elle devait être un sacrément gros poisson si ce n’était Calypso elle-même. Il fonça donc dans sa cabine pour se changer. La femme lui avait fait comprendre bien assez amèrement que sa tenue n’était pas appropriée à la situation. Sur ce point là, Altaïr ne pouvait pas démentir. Aussitôt il arriva dans sa chambre, il fonça vers une malle qui lui servait d’armoire et finit par en sortir en veste en laine bleue marine. C’était un très bel et très cher habit qui avait appartenu à son père durant son vivant. Il en avait eu trois et la mère d’Altaïr en avait donné une à chacun de ses fils à la mort de son mari. Et si le mousse avait voulu la laisser bien rangée dans la maisonnette familiale, sa mère avait insisté pour qu’il l’amène, lui disant qu’il en aurait forcément besoin à un moment et qu’il la remercierait plus tard de l’avoir obligé. Il la remerciait à présent. La femme avait la tête bien mieux posée sur les épaules que lui.

Il secoua la veste qui était en fait une sorte de redingote aux broderies dorées, réellement belle. Elle sentait un peu le renfermer mais Altaïr se dit que l’odeur passerait avec les brasses du vent. Il l’enfila et referma sa chemise qui était un peu trop entrouverte. Il prit ensuite un peu dos sur ses mains et les passa dans sa chevelure pour essayer de la dompter. Il regarda un instant son reflet à la surface de l’eau, il avait bien meilleure allure. Il ressortit ensuite des cales et arriva sur le pont, pour venir se mettre à côté de Priam et de la femme qui continuait à briffer les nouveaux. Il se mit pieds joints, les mains jointes derrière son dos et se tenant bien droit, il toussota. Puis soudainement il rappela que la femme lui avait également demandé ou plutôt ordonné d’aller nettoyer les cales.

« Euh… Je suppose que je devrais aller nettoyer les cales. »

Avant même que la femme ait à se répéter et sentant les reproches arriver, il s’élança dans les escaliers, s’arma d’une serpillière et entreprit de nettoyer le sous-sol du navire.

Altaïr frottait à s’en froisser les muscles, le bâton entre les mains, il s’épuisait à nettoyer chaque centimètre carré des cales comme si sa vie en dépendait. Il avait fait assez de stupidités pour aujourd’hui et ne comptait pas rentrer à la maison de sitôt. Il se plaisait réellement sur le Ranger, même si la vie n’y était pas toujours des plus simples, il avait m’impression de s’épanouir, d’avoir un but ce qui le changeait clairement de sa vie de pêcheur dans son village natal.

Soudain une voix l’interrompit, c’était cette femme, qui lui avait quelques minutes plus tôt, ordonner de nettoyer tout le sous-sol du bateau, et qui maintenant lui demander de quitter ces mêmes cales. Un peu surpris, il se demanda d’abord s’il ne s’agissait pas d’un piège, peut-être que cette femme voulait le tester, voir s’il était du genre à quitter ses tâches dès que possible. Il lança un petit regard inquisiteur vers la femme avant de comprendre qu’elle ne rigolait. Il posa sa serpillère et accourut vers la femme :

« J’arrive ! »

Il remonta les escaliers deux à deux et, une fois sur le pont, se précipita vers ses amis et compagnons prêt à se mettre au travail avec eux. Seulement ébloui par la luminosité bien différente de celle des cales, il ne vit pas une corde traînant par terre qui s’enroula autour de sa cheville et le précipita par terre. Quand les dieux sont contre toi, il n’y a plus rien à faire… pensa-t-il, le nez contre le plancher lavé dans la matinée. Il resta ainsi un moment, rendant un dernier hommage à son honneur et sa crédibilité puis se résolut à se relever et faire face à cette femme dont il ne connaissait d’ailleurs toujours pas l’identité. Il se mit sur pieds et passa une main sur son nez pour vérifier qu’il n’était pas cassé. Par fortune il ne saignait pas, mais était bien douloureux par contre, sa veste avait eu main de chance. Son cher manteau hérité de son défunt père avait été arrosé par un seau d’eau sale utilisée pour nettoyer le sol qu’il renversa en tombant. Il se retourna vers la femme tout en frottant son manteau de ses mains pour enlever l’eau marron du tissu puis se mit bien droit, faisant mine de rien, se disant qu’elle n’avait peut-être pas vu. L’espoir fait vivre n’est-ce pas ?

« En quoi puis-je me rendre utile madame ? »

C’était le moins qu’il pouvait dire pour sauver cette journée qui allait de pire en pire.

La femme – dont il ne connaissait d’ailleurs toujours pas le nom – tiqua quand Altaïr s’adressa à elle. Le jeune homme, un peu perturbé fit un pas en arrière et tenta un sourire, sans doute pour adoucir ce qu’il venait de dire même si au fond de lui, il n’avait absolument pas l’impression d’avoir été malpoli. Au contraire, il l’avait appelé madame, c’était une preuve qu’il la respectait, non ? Mais non, à priori, cela ne lui plaisait pas car elle lui fit comprendre en quelques termes clairs qu’il ne devait plus l’appeler madame, ni Anna à priori. C’était Annabeth. D’accord. Annabeth. Facile. Annabeth.

« Très bien, mad… Annabeth.

Il se rattrapa de justesse, pestant en son fort intérieur contre lui-même puis inclina rapidement de la tête comme pour lui montrer qu’il avait compris. Ce n’était pas facile, sa mère lui avait appris toute son enfance qu’on n’appelait à une dame par son nom à moins qu’on ne la connaisse très bien. Et aux yeux d’Altaïr, il ne connaissait pas Annabeth depuis assez longtemps pour l’appeler par son nom. Surement sa mère avait dû oublier de lui préciser que si la dame en question ne voyait pas cela de la sorte il fallait s’adapter, alors pour le blond c’était plutôt compliqué.

La f… Annabeth lui indique qu’il devrait aller demander comme il pouvait faire au près de son maître d’équipage. En effet, il devait y avoir un millier de choses à faire, comme toujours sur le Ranger. Il semblait que sur le bateau-roi du port il y avait toujours quelque chose à faire d’ailleurs, et Altaïr se demandait bien si un jour il serait exempté de s’occuper de lui, pour au moins une heure. Mais en fait, il n’était pas sûr que c’était ce qu’il souhaitait. Avec le temps, le matelot s’était attaché au géant des mers et à son équipage comme à une deuxième famille, il l’aimait et il aimait son travail aussi dur soit il. Levant ses yeux cachés sous des boucles blondes, il sourit vers Annabeth avec un éclat sincère dans les yeux.

« Merci M-Annabeth ! J’y vais de suite !