La soirée avait semblé interminable. Ce banquet avait été une épreuve bien plus redoutable que ce que la jeune forgeronne aurait pu imaginer. Elle remerciait intérieurement Priam d'avoir cependant fait en sorte que cette soirée ne soit pas un total désastre par sa présence et sa bonne humeur. Un léger sourire étira les lèvres de la jeune femme en repensant au chef de clan Pankara. Elle avait été agréablement surprise de le revoir après plusieurs années. Et elle était ravie que le plaisir ait été partagé. Ce qui n'était pas le cas pour tous les convives présents ce soir-là...

Le fin sourire disparut aussitôt des lèvres de la jeune femme tandis qu'elle avançait dans les plaines, perdues dans ses pensées, ses chaussures à la main, ses pieds nus accueillant la fraîcheur et la douceur de l'herbe tandis que sa longue robe bleu ciel effleurait le sol, le bruissement du tissu étant le seul bruit qui venait briser le silence. Elle s'était excusée et avait fini par déserter le banquet, n'étant réellement pas faite pour ce genre d’événement. Et elle avait eu bien du mal à garder un visage serein et avenant pendant la soirée alors que son esprit ne cessait de revenir vers un groupe de Sengoli qui avait croisé son chemin dans la soirée. Deux hommes qui avaient réussi à eux seuls à gâcher la soirée. Enfin, surtout un à vrai dire.

Aileen finit par arriver au campement et soupira en accueillant avec soulagement le calme et le silence qui régnaient en ces lieux. Le banquet était loin d'être fini, la jeune femme pouvait entendre les éclats de voix, les rires, les chants et les musiques de là où elle se trouvait. Mais suffisamment loin pour ne plus la déranger. Tentant de se repérer, l'esprit suffisamment clair, elle retrouva bien vite le chemin de sa propre tente et s'y dirigea, sans demander son reste. La soirée était terminée pour elle et plus rien ne viendrait se mettre entre elle et son lit pour la nuit.

Ou presque... car alors qu'elle arrivait en vue de sa tente, elle fronça les sourcils en remarquant une silhouette penchée qui semblait essayer de pénétrer dans la tente de la jeune femme. Sentant déjà la colère l'envahir, Aileen s'approcha, tentant d'apercevoir l'intrus, mais la nuit était bien avancée, les lanternes assez faibles et elle ne discernait rien de plus qu'une forme sans doute masculine. Alors qu'elle arrivait à hauteur de l'inconnu et qu'elle s'apprêtait à faire connaître sa présence, elle se figea, bouche entrouverte. De toutes les personnes présentes à cette fête, l'homme qu'elle désirait le moins voir au monde se trouvait juste devant elle, tenter d'entrer dans sa tente. Dans un réflexe compulsif, les poings de la jeune femme se serrèrent ainsi que sa machoire tandis que le guerrier Sengoli interrompait son geste, réalisant apparemment qu'il n'était plus seul. Il se retourna, se redressa et observa Aileen. Il mit quelques instants à la reconnaître mais très vite, elle put voir l'étonnement, voire même l'effarement se dessiner sur les traits de son visage tandis qu'il ne parvint à prononcer que deux mots à son encontre.

"Bonsoir Servan..."

Et sans qu'elle n'ait eu le temps de réaliser ce qu'elle allait faire, sans qu'elle n'ait même prédit ce geste, l'un de ses poings fermés alla s'écraser contre le nez du menteur dans un geste d'une violence que la jeune femme ne se connaissait pas.

"Ou peut-être devrais-je t'appeler Kellan...?"

A peine eut-elle frappé Kellan que déjà la jeune femme se sentait mieux. Elle le regarda s'agiter et crier, les bras croisés, le visage impassible, son regard lançant des éclairs dans la nuit. Elle n'avait pas réellement jauger sa force en le frappant, n'ayant pas prémédité ce geste. Mais Kellan était victime du plus mauvais des timings et son nez en avait fait les frais. Pour un peu, elle se serait presque sentie désolée pour lui. Avant de se rappeler ce qui lui avait valu un nez en sang. Levant les yeux au ciel en l'entendant jurer et lui poser toutes ces questions, elle s'avança et sans un mot, attrapa son visage entre ses mains. Observant son visage deux secondes seulement, elle attrapa son nez entre ses doigts et le redressa dans un autre craquement qui devait être aussi douloureux que le premier.

"Ton nez n'est pas cassé, arrête de pleurer."

Son ton était froid, implacable et pourtant tout en parlant, la jeune femme sortit un mouchoir de sa manche et le tendit à Kellan afin qu'il éponge le sang de son visage et arrête l'écoulement de son nez. Puis, à nouveau, elle l'observa.

"Je suis forgeronne tu te rappelles? Je frappe l'acier avec mon marteau toute la sainte journée. Crois-moi j'aurais pu te faire bien pire que te dévier le nez... tu n'es pas le premier emmerdeur que je frappe."

En effet, la jeune femme avait du prouver plus d'une fois sa légitimité en tant que forgeron face à des imbéciles persuadés que la place de la femme était à la maison, préparant à manger, faisant le ménage et écartant les cuisses au bon vouloir de son mari. Bien que Kellan n'ait jamais rien proféré de la sorte, cette simple pensée suffit à raviver la colère d'Aileen qui posa les mains sur son torse et le poussa en arrière violemment.

"Qu'est-ce que tu fais là hein? C'est ma tente dans laquelle tu essayais de rentrer je te signale ! Et la dernière chose dont j'ai envie là tout de suite c'est de partager une tente avec toi, sale menteur !"