An 145Ces mots que mes parents emploient pour me rabaisser, je préfère agir comme le genre de fille qui ne les comprend pas. Ce n’est pas loin de la réalité, à vrai dire. Je n’ai jamais compris le motif de ces mots blessants. Je suis leur fille après tout. Je suis différente des jumeaux, certes, mais je suis malgré tout leur fille. Je ne suis pas un monstre, je suis juste un peu plus faible que ce qu’ils ont espéré. Et alors ? Je me débrouille très bien ainsi. Je sais chasser, je suis même très bonne à cela. Mais non, ce n’est pas suffisant pour eux. Il leur faudrait un troisième enfant parfait.
Pour échapper aux poignards cachés sous ces mots, j’ai préféré passer la soirée dehors. A quoi bon rester dans notre demeure si c’est pour que l’ambiance soit des plus tendues. Je n’en peux plus. Si je n’étais pas autant attachée à Alon, je serais partie depuis longtemps pour une des autres villes, probablement pour Lakestreet. Là-bas, je pourrais avoir ma place, aux côtés de la famille d’Akeela par exemple, eux ils m’apprécient pour ce que je suis. Mais je suis incapable de m’enfuir, pas pour de bon du moins. Alon m’a vue grandie et c’est ici que se trouve l’Arbre Sacré. Si je m’en éloigne trop longtemps, alors je deviens réellement faible. L’Arbre me donne la force, c’est lui qui me motive à me lever le matin et qui me donne la force d’aller chasser et de ramener du gibier pour la famille et pour le clan. Je suis réellement devenue chasseur que depuis peu, mais j’ai l’impression de faire ça depuis toujours.
Pour ce soir, j’ai décidé de m’installer non loin de l’Arbre Sacré, assez loin de la maison pour être tranquille. Je ne suis pas seule, il y a du passage. La vie continue son cours, la mienne également. Il faut bien que je me trouve un moment pour me reconfectionner des flèches et affûter mes pointes. Cette soirée semble parfaite pour ce faire. Personne ne viendra me déranger dans cette activité. Je repense à la première fois que j’ai confectionnée une flèche. C’était avec lui, avec cet homme qui est mon modèle. Je ne sais pas où il est aujourd’hui, je ne sais pas si je le reverrai un jour. A quoi bon ? Si je le croise, irai-je lui dire qu’il a été un exemple pour moi toute ma vie ? Sera-t-il fier de moi parce qu’aujourd’hui je chasse en me calquant sur sa façon de faire ? Non. Il ignore même qui je suis alors à quoi bon. Je suis reconnaissante pour ce qu’il a fait pour moi malgré lui, mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire que je lui présente le moindre remerciement.
La nuit tombe doucement, à travers les feuilles des arbres, je peux apercevoir plus loin à l’Ouest la lumière du soleil qui se couche. J’aime parfois grimper plus haut pour admirer cette vue sans avoir les feuillages pour me déranger. Ma mère n’aime pas quand je fais ça. Mais si je devais m’arrêter de faire tout ce qu’elle n’approuve pas, je serais probablement cloîtrée dans ma chambre à l’heure qu’il est, bonne à ne rien faire. Demain, peut-être, je grimperai. Ça ne m’apporte rien de particulier si ce n’est de la satisfaction. Un moment unique dont je peux profiter seule sans que l’on vienne m’embêter.
Alors que je taille une de mes têtes de flèches, je sens la présence de quelqu’un. Le genre de présence qui se veut dérangeante. Je me sens observée mais je fais en sorte de ne pas avoir remarqué, continuant mon activité. Je n’aurai bientôt plus suffisamment de luminosité pour ce faire, je ne peux pas me permettre de m’arrêter pour une personne m’importunant. Mais cette pression que je ressens dans mon dos ne m’est pas évidente à supporter. Ce qui devait arriver arriva, à me concentrer à la fois sur ma tête de flèche et sur la personne se tenant derrière moi, mon couteau a ripé, taillant une nouvelle fois mon pouce. «
Aïe. » Je me retourne. «
Vous pouvez pas aller voir ailleurs si j’y suis ? J’aimerais bosser tranquillement. » Seulement, ce n’est peut-être pas la personne à qui dire ce genre de chose est correct. Nukka.
AVENGEDINCHAINS