[Priam - Brenna] Raconte moi une histoire

La fête bat son plein. Les réjouissances de la fête de l’Alliance sont joyeuses et semblent promettre des temps de paix certains. Je ne peux qu’être encore sceptique sur ces derniers mais pour le moment, je me laisse moi-même entrainer dans cette bonne humeur ambiante. Assise non loin de la table des Pankaras avec Aedan, je les observe, un sourire aux lèvres. C’est de loin les plus bruyants et cela m’amuse de les écouter. Notamment quand l’un d’eux se lève, un accordéon à la main, pour se mettre à chanter. Mon fils me tapote le bras pour me le montrer, heureux et admiratif, et j’acquiesce pour lui dire que je l’ai vu avant de venir me concentrer sur mon assiette et sur ma propre tablée.

Néanmoins, quand je reconnais une voix parmi les autres, je me retourne de nouveau pour regarder Priam monter sur la table pour accompagner les autres dans leur chant. Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu. Cette fois-ci, je reste à les observer chanter, tapant même des mains pour accompagner la mesure. Lorsqu’elle se termine et que le Pankara redescend de la table pour se rassoir, je me lève à mon tour et souffle quelques mots à Aedan.

« Reste ici, je reviens. »

Je sais qu’il ne risque rien. Il est entouré de personnes de notre clan, dont Uriah qui, je le sais, le surveille d’un œil discret. Après tout, il reste son fils. Et je ne suis, de toutes façons, pas très loin. Je rejoins la table en en faisant le tour, attrapant deux choppes d’alcool sur un plateau, et vais m’assoir gracieusement sur le banc près de Priam, lui en tendant une.

« Il me semble te l’avoir déjà dit, mais tu as une voix parfaite pour chanter et conter des histoires. Tu viens encore une fois de le prouver. »

Je lui souris avant de trinquer et de boire une gorgée, amusée.

« Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu. Je ne pensais pas que j’aurai l’occasion de te croiser par ici. Ne devrais-tu pas être occupé à des choses plus sérieuses ? »

Un simple sourire en échange de son compliment. Il est vrai que mes talents de conteuse commencent à se faire connaître et que mes différents publics se font plus nombreux. C’est toujours plaisant et ça m’incite à continuer dans cette voie que j’aime. Nous trinquons et buvons une gorgée de nos boissons avant que Priam ne me réponde, prétextant avoir été entraîné ici par sa petite sœur. Je ne me souviens pas avoir eu l’occasion de rencontrer cette dernière mais je suis certaine qu’elle n’a pas eu beaucoup à insister pour ramener le Pankara ici pour faire la fête.

« Oui, il est avec notre clan là-bas. Jusqu’à il y a peu je ne me rendais pas compte qu’il grandissait, mais j’ai réalisé qu’il m’arrivait aux épaules. Il est plutôt grand pour son âge. »

Il tient de son père. Même si je ne le dis pas à voix haute. Je peux d’ailleurs apercevoir Uriah au loin et je souris avant de reporter mon attention sur Priam pour répondre à sa première question.

« En réalité, je ne pensais pas venir. Mais je me trouvais à la Citadelle quand j’ai croisé Uriah qui m’a convaincu de venir. Je pensais plutôt continuer ma route vers Kelowna, mais je ne pouvais laisser passer ma chance de pouvoir croiser Danika ici. »

Un sourire un peu triste étire mes lèvres. J’ai eu beau faire le tour des lieux de la fête, aucun visage familier ne m’est apparu en dehors de Keren et Uriah. Ma sœur reste introuvable et je reste persuadée que je ne la trouverai pas ici.

Je souris, un peu tristement, aux paroles de Priam.

« J’espère que tu as raison oui. »

Cela fait déjà bien longtemps que je cherche Danika après tout, et tout ce que je suis parvenue à savoir c’est qu’elle se trouvait auprès des kelowniens. Rien d’autre. J’ai beau tenter de me dire que c’est déjà un indice crucial, cela me paraît bien peu. La voix de mon ami me parvient de nouveau et je le regarde après avoir pris une gorgée de ma bière. Je ris.

« Evidemment ! Passer à côté d’histoires contant le courage et la bravoure des Pankaras serait une belle idiotie, tu ne crois pas ? »

Devinant où il veut en venir, j’ajoute, souriante et taquine :

« Mais, quoi de mieux qu’un Pankara pour conter l’histoire d’un Pankara ? Je ne voudrais pas paraître insultante en prenant le monopole de la parole parmi tes gens. »

La remarque de Priam sur le fait que j’attire certains hommes me fait relever la tête pour observer autour de moi. En effet, à deux places de moi, assis sur le banc, un jeune homme m’observe avec intérêt. Je lui souris avant que son chef ne lui donne un coup sous la table et qu’il rougisse jusqu’aux oreilles. Je ris avant d’envoyer un baiser charmeur vers le pauvre malheureux. Heureusement que je ne suis pas du genre à m’offusquer pour si peu, j’ai vu et fait bien pire dans l’auberge où j’ai passé la majeure partie de mon adolescence et dans celles où j’ai pu m’arrêter depuis que j’ai commencé à voyager. J’ai conscience de ma beauté, je ne m’en cache pas en étant hypocrite. Je sais que je suis belle, le tout est de savoir ne pas le crier sur les toits et s’en vanter. Ce n’est pas mon cas, mais ça ne m’empêche pas d’en jouer.

La voix de Priam, grave et basse, se met alors à résonner lorsqu’il commencé à prendre la parole, se lançant dans une histoire de son peuple. C’est avec une toute nouvelle attention que je l’observe et que je l’écoute, la conteuse en moi prenant le dessus. Etre conteuse, c’est avant tout savoir écouter pour enregistrer les histoires afin de les raconter à son tour, plus tard, à d’autres oreilles attentives. Alors j’écoute cette jolie histoire d’un pauvre pêcheur rentrant le ventre et le filet vide. Puis Priam narre avec talent chacune des rencontres de son héros avec chacun des animaux qu’il s’apprête à tuer avant de leur épargner la vie. Une baleine, une tortue, un dauphin… Tant de bienveillance alors qu’il continuait à mourir de faim, jusqu’à ce que la déesse même des océans vint à sa rencontre pour le remercie de sa sollicitude.

Une histoire que mon ami raconte avec un talent évident. Plusieurs personnes autour de la table se sont arrêtées de parler pour l’écouter. Je ne doute pas que la plupart connait déjà ce conte, mais bien racontée par quelqu’un, c’est toujours agréable. Une fois l’histoire finie, quelques applaudissements retentissent, quelques hommes frappent la table de leur choppe avant de les lever à la santé de Neptune. Je me tourne vers Priam.

« C’était un très bon conte Priam, je t’en félicite. Je dois avouer que je ne le connaissais pas, mais… » Je tapote doucement ma tempe. « Il est bien enregistré maintenant. »

Je termine ma choppe à mon tour avant de reprendre la parole.

« Sais-tu comment les sirènes ont perdu leurs plumes et gagné leur queue de poisson ? Filles des muses, les sirènes étaient de magnifiques créatures ailées. Un jour, elles furent conviées à un concours de chant les opposant à leurs propres mères, les muses, et présidé par Hera, la déesse protectrice des femmes. Les sirènes, grâce à leurs voix magnifiques gagnèrent ce concours, mais refusant d’admettre leur défaite, les muses se ruèrent sur leurs filles pour leur arracher les ailes et s’en faire des couronnes. » Je prends volontairement un ton un peu plus dramatique à ce moment-là, avant de reprendre plus calmement. « Désormais incapables de voler, les malheureuses sirènes se précipitèrent dans les vagues de la mer. Tristes à l’idée que la mort les guettait, elles jouaient de la flûte et de la lyre du haut de leurs rochers neigeux. Puis elles se laissèrent tomber dans les profondeurs de la mer rugissante où leurs corps prirent eux-mêmes la forme de rochers. Mais toutes ne furent pas métamorphosées en roche. Non. Les survivantes, sous la forme de femmes-poissons, demeurèrent au bord des rivages ou près des récifs pour guetter les marins et les séduire par leur chant afin de mieux les attirer au fond de l’eau. » Une nouvelle pause et un léger sourire étire mes lèvres alors que je plonge mon regard dans celui du chef des Pankaras. « Car ce qu’on oublie, c’est que les sirènes sont de grandes amoureuses. D’ailleurs Priam, sais-tu que si la mer est salée, c’est parce qu’elle est remplie des larmes des sirènes en mal d’amour ? »